Ils et elles étaient artiste, commissaire d’exposition, critique d’art, directrice d’institution, employée de galerie, chercheuse, médiateur dans les musées. Les voici aujourd'hui paysagiste, psychologue, activiste, enseignante, fleuriste, documentariste… ou autre chose, qui n’a pas encore de nom. Ils et elles ont quitté le champ de l’art. « Il y a autant de récits que de personnes interrogées », observe la jeune artiste Noémi Lancelot dans son tout récent film En finir avec l’art. Elle y évoque plusieurs figures historiques, notamment des femmes (les artistes Lee Lozano et Charlotte Posenenske), qui ont accompli ce chemin retour, peu étudié dans l'histoire de l'art. Et pour cause : même lorsqu'il procède d'une position extrême de critique institutionnelle, ce renoncement est « toujours récupéré par le marché et l’institution », souligne-t-elle. De fait, partir est un geste en soi, qui reste identifié en tant que tel dans le domaine de l'art, comme le développe Alexander Koch dans son texte théorique « Opting Out of Art ».
Quitter l'art, mission impossible ? Plus ou moins revendiqués et mis en scène, certains retraits récents sont intrinsèquement liés à des positionnements politiques. En 2019, en plein mouvement des Gilets Jaunes, l’artiste Julien Crépieux (représenté jusqu’alors par la galerie Poggi) publiait une « lettre ouverte au monde de l’art », dans laquelle il exprimait les raisons de sa défection : l’impossibilité de « poursuivre un travail artistique étant donné l’urgence de la situation » et le refus « d’œuvrer davantage depuis cet inconsistant milieu qu’on appelle ‘art contemporain’ ». Fin 2020, Marianne Lanavère quittait la direction du centre d’art et du paysage de Vassivière pour se consacrer à la permaculture et à des projets pédagogiques en Corrèze. Dans un entretien très commenté, paru dans la revue Lili, la rozell et le marimba, elle explique : « Le fait que l’art ait besoin d’être reconnu comme une discipline à part m’est apparu de plus en plus absurde. Pour moi l’art est davantage une démarche ou un prisme de lecture du monde. À présent j’ai envie d’une non-expertise. Je ne veux plus me professionnaliser, je veux me revendiquer amatrice. Je serais plus utile directement en lien avec des formes de vie où l’art n’est pas un domaine à part mais où il infuserait les autres activités. »
La précarité, facteur premier
Peu dites, car souvent douloureuses, ces réflexions sont cependant très présentes dans le monde de l'art. L’artiste Cristina Garrido a collecté les témoignages d'artistes ayant quitté l'art, réunis dans l'exposition « El mejor trabajo del mundo » (visible jusqu'au 16 janvier…