« La maladie de la gratuité est devenue honteuse. » C’est ainsi que l’avocate spécialiste du droit d’auteur Agnès Tricoire évoquait en 2019 dans ces pages un mal qui ronge le secteur des arts visuels. La question de la juste rémunération des artistes – mais aussi celle des commissaires d’exposition, critiques d’art, régisseurs, médiateurs et médiatrices, agents d’accueil et de surveillance, etc. – est depuis une dizaine d’années le cheval de bataille de divers collectifs autonomes, qui pour beaucoup prennent exemple sur W.A.G.E. Fondé en 2008 à New York, celui-ci a mis en place des outils concrets, notamment une certification signée avec les structures qui respectent des contrats standard. Wages For Wages Against (né en Suisse mais essaimant à l’international), Économie solidaire de l’art, Art en grève ou la Buse, en France, tentent eux aussi de convaincre de la nécessité d’un meilleur encadrement du travail de l’art, notamment via le dialogue avec les tutelles. Ces initiatives individuelles – les arts visuels comptant beaucoup d'indépendants, et un secteur public très cadenassé —, peinent à pallier la très faible syndicalisation des travailleuses et travailleurs de l’art, y compris dans les musées (contrairement aux États-Unis où on a vu se multiplier les unions, comme au New Museum ou au Guggenheim).
De fait, les arts visuels restent le parent pauvre du soutien de l’État à la culture. En 2015, la loi sur la liberté de création n’annonçait aucune mesure forte en leur faveur. La même année, la mise en place dans chaque région des SODAVI (schémas d'orientation pour le développement des arts visuels) promettait des échanges directs entre structures territoriales et ministère de la Culture, avec comme modes opérationnels des rencontres autour de réflexions thématiques, la mise en commun des données et des répertoires de préconisations. Faire remonter ainsi les doléances semblait une bonne idée. Parmi elles, la rémunération des artistes-auteurs donna lieu en 2020 à la publication du très attendu « rapport Racine », dont les conclusions ont finalement été très peu entendues.
Les associations des centres d’art (d.c.a.), des commissaires d’exposition (c-e-a) ou encore des critiques d’art (Aica) ont publié des chartes, portant notamment sur des tarifs indicatifs pour les droits d’exposition, d’images, d’auteur… Non imposables, leur portée reste limitée. Tandis que l’idée d’accorder aux travailleurs des arts visuels le statut d’intermittents – comme dans le spectacle vivant – fait son chemin jusque dans les cabinets du ministère, certains plaident pour le revenu universel, refusant d’indexer l’activité artistique à une temporalité ou un rendement. La crise du Covid et ses conséquences économiques désastreuses pour le secteur culturel, en France comme ailleurs, ont montré l’impérieuse nécessité de revoir la « culture de la gratuité ».