« Dans ma masterclass, je vais vous demander d’être courageux, confiant et de ne pas considérer l’art comme un produit fini mais plutôt comme un processus pour devenir quelque chose de plus grand. » Ces propos sont prononcés par Jeff Koons, costume bleu et sourire ultra bright, dans une vidéo produite par la plateforme américaine de cours en ligne MasterClass. Lancée en 2015, la société promet de révéler les secrets des « meilleurs » de chaque discipline grâce à un abonnement annuel, du tennis avec Serena Williams à la cuisine avec Gordon Ramsay, avec, dans le domaine culturel, des personnalités aussi diverses que Martin Scorsese, Spike Lee, Frank Gehry ou Joyce Carol Oates… Chacun dispense ses conseils et revient sur son parcours en une vingtaine de vidéos d’une dizaine de minutes, à grappiller ou à binge watcher. La start-up connaît un succès fulgurant : d’après le New Yorker, elle totalise aujourd’hui 1,5 million d’abonnés. MasterClass a levé 475 millions de dollars depuis sa création, portant sa valorisation à plus de 2,75 milliards de dollars, selon plusieurs analystes américains.
Aller au bout de ses rêves
Le modèle a essaimé dans le monde, y compris en France, où plusieurs plateformes de masterclass à vocation culturelle ont également fait leur apparition. The Artist Academy, lancée en 2018, donne accès aux leçons virtuelles de l’écrivain Douglas Kennedy, du photographe Yann Arthus-Bertrand ou de la danseuse Aurélie Dupont. « Nous pensons que 95 % des gens ont un talent artistique et qu’ils ont peur de l’exploiter. Quel que soit leur âge, ils peuvent développer ce talent et aller au bout de leurs rêves », soutient Marjorie Leblanc Charpentier, l’une des fondatrices. « Nous avons créé nos masterclass avec un objectif pédagogique, ce ne sont surtout pas des interviews. » Plusieurs dizaines de milliers de membres tentent déjà l’expérience.
De son côté, la start-up My Little Paris, qui possède déjà 22 médias et 6 marques e-commerce, a inauguré à l’automne 2020 Traverses, une « école digitale » axée sur la créativité. À l’affiche, des invités éclectiques comme le docteur en psychiatrie François Bourgognon, la star de la littérature jeunesse Susie Morgenstern ou le designer Vahram Muratyan. « Chez My Little Paris, la créativité est au cœur de notre culture d’entreprise. Nous avons voulu passer à la transmission, d’abord avec des summer camps, puis des formations en distanciel, raconte Elisa Rummelhard, directrice de Traverses. Il est important pour nous d’avoir un impact, même micro, dans la vie de nos élèves, pro comme perso. » Au menu des vidéos : théorie, inspiration, récits d’expérience ou exercices concrets. D’autres entreprises se sont lancées sur le créneau avec une offre beaucoup plus généraliste comme MentorShow, Virtuoz, ou encore Majelan, qui mise sur le seul audio – à ne pas manquer, l’une des dernières productions où Marlène Schiappa dévoile sa technique pour ne pas répondre aux journalistes.
Une économie de l'éducation
Ce foisonnement s’inscrit dans le boom global de l’apprentissage à distance. Selon une étude de Research and Markets, la taille du marché mondial de l'e-learning a dépassé les 250 millions de dollars en 2020, et devrait atteindre un milliard en 2027, boosté par l’intelligence artificielle ou la réalité virtuelle. En France, la réforme Pénicaud de la formation professionnelle, en 2018, a joué en faveur du secteur en permettant de valider certaines formations via le compte professionnel de formation. Mais c’est la crise sanitaire qui a donné un formidable coup d’accélérateur aux plateformes diverses. « Le Covid a changé les mentalités. Avant, les gens savaient à peine ce qu’était l’e-learning », se rappelle Marjorie Leblanc Charpentier, qui a vu le chiffre d’affaires de la société doubler pendant la pandémie. Pour Elisa Rummelhard, ces succès s’inscrivent dans un phénomène plus profond, qui n’est pas sans lien avec le développement personnel : « Il y a eu un shift d’une économie de la consommation à une économie de l’éducation. Nous nous posons plus la question du sens que nous donnons à notre temps et à notre argent. »
Tous adoptent le même modèle économique : l’abonnement, souscrit majoritairement par un public très féminin et diversifié, en âge comme en catégorie socio-professionnelle. Chez MasterClass, le ticket annuel se monte à 160 euros, chez The Artist Academy 500 euros (donnant également accès à une série d’événements privilégiés), et chez Traverses de 100 à 470 euros. Le modèle a l’avantage de permettre une fidélisation facile et une sécurité financière. Le hic est que les tournages coûtent cher. L’Américaine MasterClass monte de véritables superproductions hollywoodiennes et les chèques aux personnalités invitées dépasseraient les 100 000 dollars. The Artist Academy ou Traverses ne sont pas encore rentables, et l’une et l’autre testent des formules B to B. Un créneau prometteur, tant les nouvelles méthodes de management valorisent la créativité. Les vidéos de la facétieuse Susie Morgenstern ou du ténébreux Gautier Capuçon ont de beaux jours devant eux.