Alors que la Suisse durcit ses mesures, imposant le pass sanitaire pour les bars, restaurants, musées et salles de concerts, les galeristes helvétiques redoutent de nouvelles restrictions qui pourraient impacter les ventes. Même le fonds solidaire d'1,5 million de francs suisses (environ 1,38 million d'euros) créé par Art Basel, et qui permettrait d’abaisser la facture du stand de 10 % supplémentaires, ne réussit à calmer les esprits.
Ce sont des nouvelles dont Art Basel aurait pu se passer. Alors que le 30 août, les États-Unis mettaient la Suisse sur liste rouge, recommandant à leurs ressortissants de ne pas voyager en Europe, les autorités helvétiques déclaraient ne pas reconnaître le vaccin Astra Zeneca administré en dehors de l’Union européenne, impactant directement les exposants britanniques. Bien que vaccinés, ces derniers devront se soumettre à un test PCR ou antigénique pour pouvoir entrer à la foire. « J’étais à Londres lorsque la nouvelle est tombée. Les gens étaient furieux, lâche la galeriste zurichoise Maria Bernheim. Ils ont annulé tous les vols pour Bâle. C’était peut-être sous le coup de l’annonce, mais ceux avec qui j’ai parlé m’ont assuré qu’ils ne viendraient pas. »
En Suisse, les cas flambent depuis le retour des vacances, et la tension est palpable auprès des exposants suisses. « Cela commence à bien faire, si le Covid pouvait nous lâcher un peu les baskets, je ne serais pas contre », tempête Pierre-Henri Jaccaud, à la tête de la galerie genevoise Skopia. S’il est désormais trop tard pour que la foire puisse être annulée, tous redoutent de nouvelles restrictions. « Il y a quelques mois, j’aurais été beaucoup plus optimiste. Aujourd’hui, les cas se multiplient et les hôpitaux se remplissent. Dans une semaine, cela pourrait être pile le mauvais timing pour une foire », s’inquiète Elsbeth Bisig de la galerie Tschudi, à Zuoz.
Une pression légitime
À ce climat d’incertitude se mêle désormais la pression des galeries américaines poussant pour que la foire soit annulée. Pas seulement parce qu’ils redoutent que les collectionneurs internationaux ne soient au rendez-vous, mais également par peur de ne pas pouvoir rentrer chez eux s’ils venaient à être infectés. Une pression que Valentina Volchkova, directrice de l’antenne genevoise de la Pace Gallery, trouve légitime. « Si on n’avait pas de galerie en Suisse, ce serait très compliqué du point de vue logistique. Art Basel aurait peut-être dû prévoir plusieurs options de participation. »
Mais d’autres se montrent plus pragmatiques, rappelant de ne pas céder au vent de panique créé par ces annonces. « Dès le moment où on a décidé d’y aller, il faut assumer. Cela ne sert à rien de pleurnicher. Il y aura moins de monde, certes, mais ce n’est pas dramatique », tempère la galeriste bâloise Gisèle Linder. « Quand on est loin, c’est toujours plus compliqué d’estimer la situation. Les Américains ont peur d'attraper le virus en Suisse alors que début septembre, il y avait 20 000 personnes qui défilaient dans les rues de Zurich pour le 'mariage pour tous', note Marie Lusa de la galerie Gregor Staiger, à Zurich. On essaie de se rassurer en se disant qu’on aura plus de temps à consacrer aux clients qui seront là. »
L'annonce du fonds d’aide solidaire pour les galeries en a surpris plus d’un, sans toutefois calmer les esprits. « Le simple fait que l’idée émane de la foire et non des marchands est une excellente nouvelle. Cela montre que ses représentants agissent de façon proactive et font tout leur possible pour trouver des solutions. Dix pour cent c’est bien, mais il faut quand même vendre. Art Basel reste l’une des foires les plus chères pour les galeries », commente Pierre-Henri Jaccaud.
Une situation qui soulève d’autres interrogations, notamment quant à la qualité des œuvres présentées. « Le grand problème dans tout cela c’est que si les grands collectionneurs ne viennent pas, les exposants n’amèneront pas les plus belles choses. J’ai commencé à regarder les previews, cela ne vole pas très haut. Cette situation nous pénalise tous et la qualité de la foire en pâtit », regrette une galeriste sous couvert d’anonymat.
Effet de rattrapage attendu
Interrogés, les exposants suisses estiment toutefois que malgré une baisse de la fréquentation, un effet de rattrapage devrait se sentir. « Il y a des collectionneurs qui n’achètent simplement pas par internet, surtout lorsqu’il s’agit d’un certain segment de prix. Après l’annulation des plus importants événements artistiques ces 18 derniers mois, nous nous attendons à un fort rebond des ventes avec le retour des foires physiques », illustre James Koch, directeur exécutif chez Hauser & Wirth, employant le terme de revenge spending pour décrire le phénomène. Un sentiment partagé par Johan Nauckhoff de la galerie Gagosian : « Art Basel reste la foire la plus importante et un très bon endroit pour montrer de l'art. La qualité et l'importance de l'événement n'ont pas changé. Les collectionneurs n'ont pas arrêté d'acheter de l'art à cause du Covid, bien au contraire. » Résultats à partir du 26 septembre.