Le quatrième étage de la Friche la Belle de Mai est un espace sans horizon, scandé d’une forêt de colonnes. Au centre, des voix s’élèvent une à une et nous guident vers elles, en vagues délayées dans un flux continu. Ámà: The Gathering Place d'Emeka Ogboh – des hauts-parleurs disposés en cercle – reprend la disposition d’une place de village, agora populaire. Ce partage d’expérience, en tension entre l’intime et le collectif, se poursuit cet été dans le programme conçu par l’artiste, faisant de la Friche un vrai melting pot : soirées musicales sur le toit-terrasse, dîners concoctés par des chefs du Nigéria, du Bénin et du Cameroun, dégustation d’une bière conçue pour l’occasion. Au Panorama, une installation vidéo multi-écrans, elle aussi abritée dans l’obscurité, déploie des scènes filmées à Marseille et dans divers lieux d'Afrique, liant les récits et les sensations d'une rive à l'autre. Se mêlent des odeurs de terre, de plantes et de pluie (les masques obligatoires rendent la perception complexe). Au frottement des sens orchestré par l’artiste nigérian, invité par Fræme dans le cadre de la Saison Africa 2020, répond en contrepoint conceptuel l'exposition radicale de Lydia Ourahmane, conviée par Triangle - Astérides. « Barzakh » (séparation en arabe) est un projet fou : la jeune artiste, hébergée dans un appartement algérois laissé dans son jus auquel elle n’avait plus accès en raison des contraintes sanitaires, en a fait voyager jusqu'à Marseille le contenu (mobilier, objets intimes, photographies... jusqu’à une énorme double porte blindée). Éclatés dans l’espace, les objets racontent l’errance forcée et la dérive du souvenir, tandis que des bornes d’écoute téléphonique ajoutent à la dimension spectrale de ce paysage mental. Saisissant.
Magali Lesauvage
« Emeka Ogboh – Stirring The Pot, Lydia Ourahmane – Barzakh », jusqu’au 24 octobre.
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