Qui dit Monaco, pense casino, bolides de Formule 1, créatures botoxées en vêtements griffés. Mais la Principauté fait aussi parler d’elle sur le terrain du marché de l’art. Artcurial a flairé le virage depuis 15 ans. Avec succès : ces trois dernières années, son chiffre d’affaires n’a cessé de grimper, jusqu’à atteindre 21,1 millions d’euros en 2020, soit plus qu’en 2019 malgré la pandémie. Le potentiel est tel que la maison de ventes a rajouté depuis cinq ans une vacation supplémentaire en janvier. Cet été, l’écurie des Dassault devra partager le gâteau avec Christie’s et Sotheby’s, dont les départements ventes privées rivaliseront pour ferrer les riches résidents, attirés tant par le soleil monégasque que par ses avantages fiscaux. « Les collectionneurs n’aiment plus les grands événements, ils veulent du sur-mesure », justifie Nancy Dotta, représentante de Christie's qui organise une expo-vente au restaurant le Cipriani. « On accompagne nos clients sur leurs lieux de vacances, à la manière d’une galerie saisonnière », renchérit Olivier Fau, responsable des ventes privées de Sotheby’s en France. Avec un espoir secret : décrocher la timbale dans la Principauté comme ce fut le cas l’été dernier dans les Hamptons, où l’écurie de Patrick Drahi a vendu pour environ 50 millions de dollars d’œuvres d’art.
Les maisons de ventes ne sont pas seules à s’arrimer au Rocher. Après l’installation en 2017 du marchand de tableaux anciens Fabrizio Moretti, c’est au tour de la puissante galerie Hauser & Wirth, qui vient tout juste d’y ouvrir une antenne permanente, avec une exposition de Louise Bourgeois dont une grande araignée a été installée dans le jardin adjacent. « On espère collaborer avec la Société des Bains de Mer pour d’autres projets de sculptures dans les jardins », précise Iwan Wirth, mordant sur le terrain d’Artcurial qui organise chaque année Monaco Sculpture en collaboration avec la SBM. Sans prendre le risque financier d’une vitrine permanente, le galeriste berlinois Johann König installe jusqu’en novembre un showroom temporaire dans les espaces de la Villa Nuvola.
Un vivier de collectionneurs
De mémoire de Monégasque, on n’avait pas vu autant de foisonnement depuis les grandes ventes de prestige organisées par les auctioneers dans les années 1980-1990. Des riches heures qui cessent à l’orée des années 2000, lorsque Christie’s et Sotheby’s se concentrent sur la place parisienne. Monaco, comme le reste de la Côte d’Azur, devient alors un lieu de collecte d’objets, plus que de vente. Pourtant, « toute la Côte d’Azur, de Nice à Saint-Tropez, regorge de belles propriétés et les collectionneurs du monde entier y font un crochet l’été », assure Martin Guesnet, directeur Europe d’Artcurial. Une trentaine de collectionneurs d’art contemporain de haut vol, comme les Fiorucci, Pierre Nouvion ou Daniela Memmo d’Amelio sont réputés actifs. De puissants marchands et courtiers tels que David Nahmad et Simon de Pury y ont aussi élu domicile. Et il se trouve toujours une princesse saoudienne ou un oligarque russe prêts à dépenser des centaines de milliers d’euros en bijoux. Thomas Hug, patron d’artmonte-carlo qui ouvre ses portes le 15 juillet, n’a pas oublié l’arrivée un jour du collectionneur grec Dakis Joannou dans son yacht customisé par Jeff Koons et du gigantesque dîner qu’il avait offert au Yacht Club.
Néanmoins, ceux qui claquent 50 000 euros dans des vêtements Chanel ou des bijoux ne mettent pas forcément la même somme dans une œuvre d’art. La maison de ventes Tajan y a même cessé ses activités depuis 2013. « Il y avait une overdose d’offres, notamment en bijoux, que le marché ne peut pas absorber sur une aussi courte période », confie Romain Monteaux-Sarmiento, porte-parole de la maison de ventes. Quoique résident monégasque, le marchand de tableaux anciens Georges de Jonckheere a fermé l’espace qu’il avait dans la Principauté, pour se concentrer sur les foires à Londres ou New York. « Le format d’un événement peut mieux fonctionner qu’une galerie tout au long de l’année », estime Thomas Hug.
Tout n’est pas rose d’ailleurs sous le soleil. La crise sanitaire a divisé par deux les chiffres d’affaires des hôtels et restaurants, plus vides que d’habitude. Pourtant, Martin Guesnet se veut optimiste : « En raison de la pandémie, nos clients ne sont pas de passage, ils s’installent pour une saison entière. »