Le Quotidien de l'Art

Marché

Une nouvelle jeunesse pour les ventes courantes

Une nouvelle jeunesse pour les ventes courantes
Enchères lors d'une vente courante chez Millon.
© Millon.

Les traditionnelles ventes généralistes d’objets de petite valeur se transforment, grâce à leur mise en ligne. Elles attirent de nouveaux clients, jeunes et néophytes, à la recherche d’objets singuliers, ayant une meilleure empreinte écologique. Conséquence : les prix montent, et les commissaires-priseurs doivent revoir leurs méthodes.

La qualité d’un buffet breton, le charme d’un bijou de pacotille, le prix défiant toute conférence d’un ensemble de cuillères en argent. Autant de raisons d’enchérir dans les traditionnelles ventes courantes, ces vacations qui mêlent des objets de peu de valeur non catalogués. Et elles n’ont pas perdu de leur attrait. En 2020, année Covid, elles ont totalisé 68 millions d’euros en France, soit une baisse de 8 % par rapport à 2019, mais un montant supérieur à 2018. Et surtout, elles ont bien mieux résisté que l’ensemble du secteur « Art et objets de collection », en baisse de 22,4 % l’année passée. Mais force est de constater que leurs frontières sont aujourd’hui plus floues. L’absence de catalogue, progressivement mis de côté dans les autres ventes, n’est plus un critère distinctif, et celui du prix l’est plus difficilement alors qu’il existe d’importantes fluctuations selon les maisons. « Les différences entre les ventes courantes et les belles ventes se sont estompées sous l’effet d’Internet », souligne le commissaire-priseur et président du Symev Jean-Pierre Osenat, qui a ouvert un site à Chailly depuis la fermeture de Drouot Nord en 2019. Autre nouveauté, la mise en avant marketing de ces événements par certaines maisons. Millon, jamais avare d’une nouveauté, propose ainsi depuis le premier confinement les vacations « So Unique » dédiées à un seul objet, et depuis février les « ventes d’Enora », capitalisant sur le succès de l’émission Affaire conclue à laquelle Enora Alix participe. 

Nouvelle clientèle

La révolution est venue de la mise en ligne d’une partie de ces ensembles, en live dans un premier temps, et de plus en plus, en format online only, sur différentes plateformes. Ce schéma a connu un bond spectaculaire avec les différents confinements. Interenchères a ainsi observé une hausse de plus de 80 % du total de ses adjudications en 2020. Grâce à cette migration en ligne, les ventes courantes trouvent une nouvelle clientèle : moins de marchands mais plus de particuliers, de néophytes, de jeunes et éventuellement d’acheteurs étrangers. « Il y a de plus en plus de gens attirés par la brocante et les bonnes affaires, constate Patricia Casini-Vitalis chez Copages Auction. Ils cherchent du mobilier ou des bibelots originaux et uniques. Et, plus préoccupés par l’écologie, ils sont intéressés par les objets de seconde main. » 

L’une des conséquences est que les ventes courantes se raréfient : elles sont passées de 4 890 en 2019 à 2 891 en 2020, soit une chute de 41 %. L’une des explications à ce phénomène est le transfert de lots issus de successions ou de fonds de maison vers des ventes de spécialités, plutôt qu’ils soient soldés dans un même ensemble. « Nous trions beaucoup plus la marchandise et la mettons en valeur avec des photos et des descriptifs, indispensables pour les internautes », détaille Bertrand Couton, chez Ivoire Nantes. Un mouvement qui, ajouté aux nouveaux acheteurs, fait inévitablement grimper les prix. En 2020, le montant moyen par lot se montait à 118 euros contre 111 euros en 2019. « J’observe une augmentation des prix d’au moins 30 %, avec 30 % d’acheteurs supplémentaires grâce aux plateformes », indique Jean-Pierre Osenat, tandis que Pauline Rozkiewicz, chez Enchères Maison Lafitte, constate : « Les mannettes [lots d'objets hétéroclites, ndlr] que nous vendions à petit prix peuvent atteindre 250 euros, divisées en plusieurs lots sur Internet. » 

Réorganisation

Mais le corollaire de ce bond des prix grâce à Internet est que ces ventes nécessitent une nouvelle organisation, et globalement plus de travail. D’abord, il faut renseigner plus précisément chaque lot, et répondre à des demandes toujours plus nombreuses. D’autant que cette nouvelle clientèle connait mal les us et coutumes des enchères. « Cela devient parfois difficilement gérable », avoue le commissaire-priseur Thomas Müller. Les ventes achevées, reste l’étape de l’emballage, à soigner d’autant plus que les objets sont acheminés plus loin. Quel avenir pourraient alors connaître ces ventes courantes ? Si elles se raréfient et se transforment, elles restent promises à un futur sans nuages, car elles conservent nombre d’avantages. D’abord, elles sont une porte d’entrée vers la maison de vente, pour peut-être acheter par la suite plus cher dans un de ses départements. Et elles restent un argument de poids pour obtenir des lots de choix de la part des vendeurs. « Lorsque je vends une belle commode, un beau tableau, on me demande : "Qu’est-ce que je vais faire du reste ?" C’est comme ça que j’ai créé la salle de Chailly », éclaire Jean-Pierre Osenat. Reste à savoir quelle part de ces ventes restera en ligne une fois la crise sanitaire passée. Et là comme ailleurs, l’inconnu est de mise. 

Capture d'écran d'une vente courante online only chez Enchères Maisons-Laffitte (yvelines-encheres.com).
Capture d'écran d'une vente courante online only chez Enchères Maisons-Laffitte (yvelines-encheres.com).
© Enchères Maisons-Laffitte.
Bertrand Couton, chez Ivoire Nantes.
Bertrand Couton, chez Ivoire Nantes.
© Ivoire Nantes.
Jean-Pierre Osenat,
commissaire-priseur et président du Symev.
Jean-Pierre Osenat,
commissaire-priseur et président du Symev.
© Osenat.
Vente courante organisée par la maison de vente Osenat à Chailly-en-Bière.
Vente courante organisée par la maison de vente Osenat à Chailly-en-Bière.
© Osenat.
Pauline Rozkiewicz, chez Enchères Maison Lafitte.
Pauline Rozkiewicz, chez Enchères Maison Lafitte.
Courtesy Enchères Maisons-Laffitte.

Article issu de l'édition N°2203