En 1971, il y a déjà un demi-siècle, l'historienne de l'art Linda Nochlin posait les termes d'un débat fondateur avec son texte : « Pourquoi n'y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? » Une question rhétorique à laquelle répond aujourd'hui une autre : « Faut-il encore des expositions d'artistes 100 % femmes ? » À celle-ci beaucoup répondent : « Combien voit-on d'expositions 100 % hommes ? » ou « Faut-il encore dix expositions Picasso par an ? » Certes la présentation d'œuvres women only n'est pas nouvelle. Dès le XIXe siècle, notamment lors de l'Exposition universelle de Chicago en 1893, des femmes en organisent entre elles, et les années 1960-1970 voient de nombreuses manifestations artistiques féministes « non-mixtes ». Aux États-Unis, le National Museum of Women in the Arts ouvre au public dès 1987 à Washington, tandis qu'en 2007 deux expositions d'envergure annoncent une nouvelle ère : « Wack!: Art and the Feminist Revolution » au MOCA de Los Angeles, et « Global Feminisms » au Brooklyn Museum. Dans la foulée, à la fin des années 2000, une exposition d'artistes féministes est proposée par Camille Morineau, alors conservatrice au Centre Pompidou. Mais l'idée est rejetée par le musée national d'art moderne au profit d'un accrochage des œuvres de femmes présentes dans les collections. Ce sera « elles@centrepompidou », en 2009-2011. Autrice du mémoire « Exposer le genre. Les expositions collectives d’artistes femmes de 1977 à nos jours », Justine Bohbote raconte : « Au fur et à mesure des projets d’exposition, le mot "féminisme" a été effacé. La question du genre est évoquée en filigrane mais ce n’est pas assumé dans le propos curatorial. ». Ainsi explique-t-elle cette frilosité : « "elles@centrepompidou" s’inscrivait dans un cadre institutionnel, dans lequel il peut être nécessaire d’adopter des stratégies pour évoquer certains sujets. »
Camille Morineau n’a pas oublié la perplexité, voire l’hostilité qu’a suscité « elles@centrepompidou ». « Tout le monde se fichait de moi, on me disait "C’est trop tard, ça ne rime à rien" », se souvient-elle. Et pourtant cet événement a (dé)porté le regard sur des créatrices femmes méconnues en dévoilant un millier d'œuvres de 300 artistes sur 8000 m2. Avec un beau succès, à rebours des prévisions : pendant 21 mois, de mai 2009 à février 2011, l’exposition accueille près de 2,5 millions de visiteurs, soit 25 % d'augmentation de la fréquentation sur cette période. Non sans continuer à susciter de vifs débats entre défenseurs de « quota » et critiques du « ghetto ». Aujourd'hui directrice du MAMAC à Nice, Hélène Guenin se souvient que lorsqu'elle était programmatrice au Frac Lorraine en 2002-2008, l'engagement de sa directrice Béatrice Josse pour l'acquisition d'œuvres de femmes n'allait pas de soi : « Ça n'était pas considéré comme un enjeu d'histoire de l'art. » Commissaire avec Géraldine Gourbe d'« Amazones du Pop » (au MAMAC jusqu'au 29 août, lire le QDA du 6 avril), elle dit ne pas avoir rencontré de résistance à cette proposition : « Un signe que les temps ont changé. » Pourtant plane sur ce genre d’initiative le danger de mettre dans le même sac des artistes qui n’ont pas grand-chose d’autre en commun que leur sexe, et de les y réduire. Et puis pourquoi scinder les histoires, parler d'« artistes femmes » – a-t-on jamais parlé « d’artistes hommes » ? – quand beaucoup de ces artistes se positionnent au-delà des questions de genre ? Ces expositions collectives d’« artistes femmes » sont paradoxales : « Très souvent, on les expose pour dire qu’avant tout elles sont des artistes, observe Justine Bohbote. On veut effacer le genre alors même qu’il est le critère de sélection de l’exposition. »
Pis-aller
Dix ans après, ces interrogations sont toujours aussi vives, alors que le musée du…