Activées par un moteur au bourdonnement léger, elles dansent en continu, pendues à des crocs de boucher. Parées de feuilles, elles abritent dans leurs entrailles des oiseaux de paradis, l’un d’entre eux remplaçant une patte par son plumage chamarré. Plutôt que de pourrir, les trois carcasses bovines de Tamara Kostianovsky (née en 1974) fleurissent dans l'antichambre aux murs taupe du musée de la Chasse et de la Nature. À la chambre froide se substitue la moiteur de la jungle. Souple, le squelette crûment exposé se métamorphose en branchage. Assemblées à partir de rebuts de tissus bariolés, ces sculptures de la série Tropical Abattoir (2022) ont été placées tout près de la Nature morte du Régent (1716), tondo de François Desportes où morceaux de viande et autres perdrix déplumées se trouvent esthétisés à l’extrême, contemplés par un perroquet indolent. Dans un XXIᵉ siècle où la reconnaissance de la sensibilité animale et la critique des excès de la consommation de viande n'enrayent pas pour autant la méga-machine d’une industrie et des habitudes bien ancrées, l’artiste argentine dénonce l'abattage des veaux et des forêts sud-américaines autant qu’elle cherche à faire renaître l'hypothèse d’une vie à la luxuriance retrouvée. Entre les couches de nappes, de sous-vêtements délavés et de pantalons veloutés, surgissent aussi des souvenirs d’enfance. Petite, Tamara Kostianovsky scrutait les allées et venues des garçons bouchers de Buenos Aires, pour ensuite se rendre dans le cabinet de son père, chirurgien esthétique, où elle œillait parfois les opérations. Étudiant la chair et la peau sous toutes ses coutures, Tamara Kostianovsky coud dans un exercice de réparation, faisant remonter à la surface des meurtrissures, intimes et politiques : dans une autre salle du musée, affleure du gosier béant d’un oiseau le souvenir d’une grand-mère dont le meurtre n’a jamais été résolu, abordant le combat contre les violences faites aux femmes en Amérique du Sud, mais aussi celui des desaparecidos, victimes de la dictature militaire en Argentine.
« La chair du monde, Tamara Kostianovsky » au musée de la Chasse et de la Nature, jusqu'au 3 novembre. chassenature.org