Des pierres tombales suspendues dans le vide, des perspectives diffractées à la Piranèse, des fleurs fanant, un chien qui court à perdre haleine... De la vidéo Finite Infinite de Sturtevant au drapeau rouge en berne de Jutta Koether (deux artistes parmi la trentaine conviés), la carte blanche confiée à Anne Imhof par le Palais de Tokyo pour sa réouverture donne au visiteur une sensation d’apnée, de temps suspendu dans un espace dilaté. Évidant jusqu’à l’os l’architecture pour retrouver l’état brut voulu par Lacaton & Vassal, l’artiste allemande – Lion d’or à la Biennale de Venise 2017 mais encore peu vue en France – perce les halles immenses de rais de lumière, dans une succession obsédante de reflets et de points de vue accélérés. Les murs éventrés, si proches déjà de l’esthétique post-punk des installations d’Anne Imhof – également musicienne et chorégraphe –, semblent attendre une foule de grand soir. Dans un labyrinthe de signes se réfléchissant les uns les autres (punching-ball, dalles funéraires, peintures enflammées), ces scènes vides à repeupler, conçues avant le Covid-19, font un effet d'appel d'air pour nos vies étouffées, claustrées, désocialisées. Viennent s’y glisser en complicité les alchimies picturales de Sigmar Polke, les vifs coups de pinceaux de Joan Mitchell, écho aux graffs rapportés là, le corps effilé d’Eliza Douglas, peintre, performeuse et autrice de la bande sonore qui hante les lieux, ou encore les chairs sanguinolentes de Paul Thek et Rosemarie Trockel. Si la mort est partout présente (jusque dans le titre, « Natures mortes »), celle-ci est domptée (une femme fouette des vagues), chevauchée (les rescapés du Radeau de la Méduse bravent leur sort), exorcisée par le son des baffles qui tournent au-dessus de nos têtes comme des charognards. Une révolution sourd.
« Natures mortes », carte blanche à Anne Imhof, du 22 mai à fin octobre 2021, jauge de 500 personnes, palaisdetokyo.com.