À l’occasion du cent-cinquantenaire de la mort de Napoléon, en 1971, l’historien Jean Tulard, spécialiste du Premier Empire, écrivait que « chaque homme projette en Napoléon sa propre volonté de puissance, s’identifie à lui dans son rêve de domination universelle ». Cette fascination virile pour un destin hors norme s’est propagée dans tous les milieux professionnels, des vieilles élites françaises aux self-made-men, par-delà des frontières aussi, chez les nouveaux riches russes et les grandes fortunes américaines. Depuis la mort de l’empereur, le 5 mai 1821, poursuit Jean Tulard, un livre par jour aurait été publié à son sujet dans le monde. Cinquante ans plus tard, cette fascination a-t-elle fait long feu ?
En 2021, alors que les musées organisent le bicentenaire de sa mort, le monde a pris ses distances avec le mythe. « Napoléon ? Encore ! ». Le titre de l’exposition qu’organise Éric de Chassey aux Invalides en dit long sur les questions actuelles, alors que les transformations de l’enseignement de l’histoire à l’école ont « minoré son rôle, et la transformation du cadre administratif a diminué sa part d’héritage », souligne le président de l’Institut national d’histoire de l’art. Comment appréhender le personnage ?
Faut-il voir en Napoléon le fossoyeur des idéaux d’émancipation des Lumières, celui qui confisqua la liberté des femmes et musela la presse, le ploutocrate qui parachuta sa famille sur les trônes des pays conquis et rétablit l’esclavage ? Ou au contraire le modernisateur de la France ? Doit-on le traiter d’un bloc ou distinguer le général Bonaparte de l’empereur Napoléon ? Éric de Chassey l’admet dans le catalogue : « Napoléon est redevenu un sujet débattu par les intellectuels et les militants, dans une société largement hostile aux 'grands hommes', plus encline à retenir les fautes que les réussites, et ne se préoccupant guère de l’exemplarité des échecs ou des vertus ». Autrement dit un sujet hautement inflammable. Lui-même a hésité avant d’accepter l’invitation du musée de l’Armée. « Je ne sentais pas les artistes passionnés », reconnaît-il. Il n’en a pas moins convaincu 28 créateurs qui ont revisité le mythe et les grands événements napoléoniens, souvent de biais, sans céder à l’hagiographie ou à la diabolisation, pointant le caractère double du personnage. Une dualité qu’on retrouve dans l’œuvre d’Agnès Thurnauer, une peinture traversée de cette phrase à l’ambiguïté éloquente : « Est-ce qu’on peut avoir une place sans avoir de statue/statut ? » Plus loin, un portrait gratté par Damien Deroubaix représente une tête coiffée d’un bicorne. Une fermeture éclair remplace la bouche et des maillons d’une chaîne d’esclave enserrent son cou. Plutôt que de se poser en moralistes, d’autres ont préféré jouer avec l’iconographie traditionnelle du conquérant et ses caricatures. « Quand on est invité pour une telle exposition, observe l’artiste…