JCDecaux, Axa, LVMH, Total mais aussi BNP Paribas, Crédit Agricole, Air Liquide, Engie… Les entreprises sont au chevet de Notre-Dame de Paris depuis l’incendie qui la ravageait le 15 avril 2019. Rompu à la restauration des monuments historiques, le mécénat d’entreprise était jusque là assez timide sur le front du patrimoine cultuel catholique, bien que la loi l’autorise depuis 1987. À titre d'exemple, la Fondation Total interdit dans sa convention qui la lie à la Fondation du Patrimoine tout soutien à un édifice cultuel. Paroissiens ou simples voisins pourvoient le plus souvent majoritairement aux souscriptions en faveur de nos clochers. « Il y a très clairement un avant et un après Notre-Dame de Paris pour les entreprises, affirme Hervé Lancelot, délégué régional Île-de-France de la Fondation du Patrimoine. On assiste à l’élargissement progressif du champ d’intervention des entreprises mécènes. Si participer à la construction d’un lieu de culte est délicat, intervenir sur une église historique est devenu consensuel même pour des mécènes qui ont une neutralité à observer. »
Même son de cloche à la Fondation Avenir du Patrimoine, créée en 2013 pour accélérer la restauration des églises de la capitale. « Plusieurs entreprises nous soutiennent depuis quelques années, mais tout s’est réellement accéléré avec Notre-Dame, qui a fait prendre conscience de l’importance de ce patrimoine, propriété de tous et non seulement des fidèles », explique Gabrielle de la Boulaye, responsable du mécénat, qui a levé en 2020 pour la cathédrale 2 millions d’euros, dont 60 % en mécénat d’entreprise.
Prosélytisme caché ?
Ce mécénat d’un genre nouveau confine-t-il au prosélytisme ? « La dimension religieuse ne se pose pas, affirme d’emblée François Demouy, responsable mécénat du champagne Palmer, mécène des amis de la cathédrale de Reims pour laquelle une convention de mécénat a été signée le 12 février en faveur du grand orgue. Il y a une forme de continuité entre le champagne, ce vin des rois qui a su traverser les siècles, et la préservation de ce joyau architectural et historique, symbole européen et marqueur du territoire. Le classement à l’Unesco a accéléré notre engagement en faveur du patrimoine au-delà de notre soutien régulier aux artistes. » Si les cathédrales de Reims ou Paris sont des symboles historiques et architecturaux évidents, les entreprises peuvent-elles s’intéresser aux petites églises à la dimension culturelle moins iconique ? « Les grandes entreprises se tournent vers les édifices visibles comme le pronaos de la Madeleine, tandis que les entreprises de quartier préfèrent les églises plus confidentielles, où leurs collaborateurs peuvent se rendre à l’heure du déjeuner ou pour des concerts », observe Gabrielle de la Boulaye. « L’image des églises évolue, estime Maxime Blot, responsable mécénat de la Ville de Blois qui engage une restauration de 3,3 millions d’euros pour l’église Saint-Nicolas, significativement soutenue par la Fondation Sisley-d’Ornano, rattachée à la marque de cosmétiques. Le rôle joué par la Fondation du Patrimoine ou la mission Bern a contribué à donner une vision globale du patrimoine français à préserver. Cela a motivé les entreprises naturellement attachées à leur territoire comme Sisley, dont le site de production est à Blois. » Et de rappeler que le canal du don reste laïc. « L’approche de l’entreprise mécène est différente quand le projet porte sur le patrimoine religieux, poursuit Maxime Blot. Je dois faire de la pédagogie quant à notre responsabilité de propriétaire à l’égard du bâti, à distinguer du culte qui s’y pratique et qui relève des instances cléricales. J’insiste sur le caractère historique du lieu. »
Outre l’histoire, l’art prend le pas sur le culte pour Albingia, assureur qui a participé à la restauration à Paris des verrières de l’église Saint-Merry ou de la chapelle de la Vierge à Notre-Dame de Lorette. « Le patrimoine religieux fait avant tout partie du patrimoine culturel que nous nous attachons à valoriser en nous concentrant sur les œuvres d’art de ces édifices, non le matériel liturgique. En interne, nous communiquons sur le savoir-faire spectaculaire à l’œuvre sur ces chantiers », explique Stéphanie Sabatié-Garat, responsable de la communication interne de l’entreprise connue pour assurer les œuvres et artisans d’art. « Les entreprises sont plus facilement intéressées par les œuvres que nous proposons de valoriser par le biais de conférences, de visites de chantier avec l’architecte ou un historien d’art, ou d'ateliers de restauration avec les artisans », précise Gabrielle de la Boulaye.
Mécène d’un programme de commandes artistiques en partenariat avec les Beaux-Arts de Paris et Saint-Eustache, centré depuis 2016 sur le thème de la Nativité, Rubis Mécénat voit dans ces églises des musées à part entière. « Nous cherchons à proposer un thème différent dans un lieu atypique et monumental qui permettra un autre dialogue tant avec l’artiste qu’avec le public, explique Juliette Le Bihan, chargée de projets. Au-delà de l’intérêt prononcé de l’église Saint-Eustache pour l’art contemporain, cette période de fermeture des musées provoque aussi un basculement des amateurs d’art vers les églises dont la dimension culturelle est réaffirmée. » Le temps des cathédrales ne fait que commencer pour les entreprises.