À trois semaines de Noël et après un mois de confinement, les marchands du marché aux Puces de Saint-Ouen espéraient beaucoup de cette réouverture… « Finalement, les Parisiens devaient être chez le coiffeur, justifie avec humour Stéphanie Duplaix, la directrice du marché Paul Bert-Serpette. En revanche, la journée du dimanche a été bonne pour une période sans visiteurs étrangers… En temps normal, cette fréquentation m’aurait parue mauvaise. » En période normale, c’est-à-dire avant la pandémie qui depuis la fin de l’hiver dernier bloque les acheteurs étrangers chez eux. Et aux Puces, ils sont très nombreux, représentant 70 % de la clientèle. Avec leur absence, le risque majeur est que les plus fragiles baissent (littéralement) le rideau. Pour le moment, les marchands sont toujours là, les effectifs n’ont globalement pas baissé. Même si Albert Rodriguez, le président des Puces, redoute de perdre une partie de ses effectifs, les marchés tiennent plutôt bon le choc. Trois nouveaux entrants ont ouvert samedi dernier et six autres devraient arriver en janvier au marché Paul Bert-Serpette, selon la direction. Des spécialistes autrefois antiquaires dans Paris. « Nous avons rarement eu autant d’entrées de marchands solides. L’un d’entre eux avait pignon sur rue près de l’Assemblée nationale et nous a rejoints en nous expliquant qu’il serait mieux dans cet écosystème, avec une clientèle garantie, comme une valeur refuge », détaille Stéphanie Duplaix.
Même écho du côté du marché Dauphine : « nous n’avons à déplorer que deux départs, mais si nous en redoutons d’autres, depuis février, le solde est positif. Certains professionnels ont même signé malgré l’annonce du deuxième confinement. » Cinq arrivées sont comptabilisées dont certains ont aussi ouvert samedi dernier. « Parmi nos nouvelles recrues, Jérôme Monnier, restaurateur de photos et propriétaire d’une galerie spécialisée dans les daguerréotypes, la céramiste Bérengère Chamboissier, la Talk Gallery de Clarissa Sellem spécialisée en art contemporain ou une galerie du curateur Ricardo Fernandes. Et puis, explique Edith Lory, directrice de Dauphine, nous sommes une alternative à tous les salons annulés. »
Tout un écosystème touché
« Les propriétaires des marchés sont souvent conscients des problématiques des marchands », explique Albert Rodriguez. Les loyers ont été exonérés pendant quatre mois et demi à Paul Bert-Serpette et du côté de Dauphine, la direction n’a fait payer aux puciers que les charges, un tiers des loyers d’avril à septembre et la moitié des loyers d’octobre à décembre. Les responsables saluent également les aides de la mairie et de la région mais regrettent d’être exclus de plusieurs aides de l’État. « Nous n’avons pas été intégrés au plan tourisme de l’État comme les restaurants ou les boutiques d’aéroport par exemple. Parmi nos requêtes, nous demandons à être intégrés en ZTI (Zone Touristique Internationale). De la même façon nous avons bénéficié d'exonération de CFE (cotisation foncière des entreprises) pendant cinq ans et demandons le prolongement de celle-ci », précise Stéphanie Duplaix. « Si nous aidons les marchands, nous ne recevons aucune aide spécifique en compensation », résume Edith Lory. Et ces aides sont jugées indispensables, car au-delà des marchands, les Puces sont un écosystème d’artisans d’art, restaurateurs, transporteurs, empaqueteurs, bars et restaurants… Selon la direction des Puces, plus de 3000 familles dépendent directement de cet écosystème, pôle économique essentiel de la région. « Et certains promoteurs n’attendent que des défaillances de boutiques attenantes aux Puces pour acquérir leurs emplacements », s’inquiète Stéphanie Duplaix.
Alors, les marchands réagissent en multipliant les expositions (en ce moment sur les objets des services secrets pendant la guerre froide à Dauphine) et en misant sur le numérique. Albert Rodriguez annonce un site de vente en ligne global en début d’année prochaine et les directeurs des différents marchés multiplient les formations au numérique à destination des marchands. Ces stratégies indispensables sont-elles pour autant suffisantes ? Les marchands comptent beaucoup sur une embellie de la situation dans les mois qui viennent : « Qu’on rouvre les frontières avec les États-Unis et nous sommes sauvés, conjure Stéphanie Duplaix. Surtout dans le contexte de l'élection du président Joe Biden, très porteuse pour nous. » 2021 va être une année déterminante, prédit quant à elle Edith Lory : « Nous attendons avec impatience le salon Maison & Objet de mars qui signera pour nous le point de départ d’un retour à la normale. »