Le Quotidien de l'Art

Acteurs de l'art

De nouveaux enjeux pour l’ingénierie culturelle

De nouveaux enjeux pour l’ingénierie culturelle
POUSH, incubateur d’artistes à Clichy. Projet de l'agence Manifesto, 2020-2021.
© Manifesto, Paris.

Véritables couteaux suisses, les agences d’ingénierie culturelle assurent des missions stratégiques dans la mise en place de nouveaux projets culturels. De l’indispensable composante économique à la nécessité de jouer collectif, les sujets, les domaines d’intervention ou les méthodologies ont évolué. Tour d’horizon. 

Quel est le point commun entre la transformation du domaine de Pontigny dans l’Yonne, l’invention d’un avenir pour le musée des Tissus de Lyon et l’installation d’un incubateur d’artistes (Manifesto) dans un immeuble de bureaux vacant porte Pouchet à Paris ? Aussi divers que soient ces projets, tous nécessitent l’intervention de sociétés d’ingénierie culturelle. Si ces TPE très spécialisées forment un paysage morcelé et ont un poids économique relatif, elles ont cependant une importance stratégique fondamentale. Ces véritables couteaux suisses peuvent s’atteler à des chantiers aussi différents que l’étude de préfiguration d’un lieu, la programmation architecturale, le modèle économique et de gouvernance, l’assistance à maîtrise d’ouvrage, la stratégie marketing, la programmation artistique, la production… À nouveau, la liste est longue lorsqu’il s’agit d’égrener les commanditaires : musées ou établissements publics, collectivités territoriales, aménageurs, urbanistes, architectes, fondations ou toute entreprise ayant un projet culturel.

L’acte de naissance de la profession remonte à 1986, date de la création d’ABCD-Culture par Claude Mollard, alors que Jack Lang vient d’accorder à la culture un poids économique nouveau. Dans son sillage se développe une offre privée de conseil pour les acteurs culturels publics. Un second changement politique majeur permettra à ces acteurs de se multiplier : les lois de décentralisation, poussant les villes à réfléchir à leur attractivité, avec les équipements culturels comme produits d’appel. 

Décloisonnements

Aujourd’hui, les enjeux et le secteur ont évolué. D’abord, les agences n’ont cessé de se professionnaliser. « On nous demande de plus en plus de technicité, les agents des collectivités territoriales étant de plus en plus formés », souligne Anne Ravard, directrice adjointe d’In extenso, qui a travaillé sur le dossier du musée des Tissus. Autre développement, le profil des acteurs intervenant dans ce champ se diversifie. Ainsi de certains établissements publics culturels à la recherche de recettes complémentaires, comme le Centquatre, sélectionné parmi d’autres dans le cadre de Grand Paris Express. Même pas de côté pour des acteurs immobiliers tels qu’Emerige qui chapeaute l’opération « Un immeuble une œuvre ». Même démarche encore chez Beaux-Arts et Cie (propriétaire de Beaux Arts Magazine et du Quotidien de l’Art) qui a lancé une branche consulting, chargée notamment de l’étude pour la transformation de l’hôpital de la Grave à Toulouse en lieu culturel. « Les sujets ont changé », explique Caroline Couraud, directrice de l’agence Le Troisième Pôle, qui a notamment conçu le projet scientifique et culturel Le Havre Port Center. « On nous interroge moins sur la création d’un équipement de toutes pièces. Le contexte économique continue de se raidir, et en parallèle la manière d’aborder la culture est en questionnement, il y a urgence à essayer de nouveaux formats. » Dans les appels d’offres, l’optique est aujourd’hui plus globale, alors que les pratiques se décloisonnent. L’une des illustrations est la multiplication des « tiers-lieux », comme la Cité fertile de Pantin, qui font cohabiter espaces de travail partagés, activités culturelles, ateliers solidaires, start-up…

Parmi les chantiers qui ont le vent en poupe, figure la valorisation patrimoniale des territoires. C’est tout l’objet de l’appel à projets « Réinventer le patrimoine », lancé conjointement par le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales et le ministère de la Culture. « L’idée est de développer une seconde vie dans des lieux patrimoniaux inoccupés, via de nouveaux usages », détaille Dominique Pianon, responsable d’investissement à la Caisse des Dépôts, qui pilote l’opération avec Atout France. Les appels d’offres concernant l’urbanisme culturel se sont également développés. « L’un des enjeux importants est : comment on fabrique la ville de demain, non plus une ville monofonctionnelle et technique, mais avec des usages plus libres et une ouverture vers les associations et les citoyens », développent Laure Confavreux-Colliex et Hervé Digne, co-fondateurs de Manifesto – l’agence travaille notamment sur le lieu coiffant la gare de Saint-Denis Pleyel. 

Maillage

Pour l’ensemble de ces projets, l’une des demandes clés concerne le financement des projets et leur modèle économique, alors que les subsides publics ne font que se raréfier. « L’un des éléments d’innovation est que nous souhaitons faire des lieux patrimoniaux sélectionnés des projets économiques d’investissement privé, avec bien sûr une importante composante culturelle », détaille Dominique Pianon. De nouveaux schémas de gouvernance sont alors à inventer. « De plus en plus d’entreprises privées s’intéressent à la création artistique. Cela a fait émerger de nouveaux modèles, avec une forte porosité entre interventions privées et publiques », soulignent Laure Confavreux-Colliex et Hervé Digne. Concernant la méthodologie, l’un des impératifs imposés aux agences est la co-construction des projets. Les lauréats de « Réinventer le patrimoine » doivent ainsi travailler avec la population locale, les collectivités, les associations et tous les autres acteurs des territoires. « L’une des évolutions dans la nature des marchés porte sur la transversalité et le maillage des projets, la mise en réseau et la mutualisation des acteurs étant pensées dès le départ, confirme Anne Ravard. Nous sommes intégrés dans un écosystème qui comprend l’urbanisme, le tourisme… » La crise sanitaire actuelle ne fera sans doute que confirmer le fait qu’il est nécessaire de jouer collectif.

Laure Confavreux-Colliex et Hervé Digne.
Laure Confavreux-Colliex et Hervé Digne.
© Manifesto, Paris.
POUSH, incubateur d’artistes à Clichy. Projet de l'agence Manifesto, 2020-2021.
POUSH, incubateur d’artistes à Clichy. Projet de l'agence Manifesto, 2020-2021.
Photo Philippe Billard/Courtesy Manifesto, Paris.
Projet de reconversion des anciens Haras nationaux d'Annecy en Cité internationale du cinéma d'animation, développé par le groupement Café Programmation, Le troisième pôle et Horwath.
Projet de reconversion des anciens Haras nationaux d'Annecy en Cité internationale du cinéma d'animation, développé par le groupement Café Programmation, Le troisième pôle et Horwath.
© Dessin d'architecte, cabinet Devaux et Devaux/Courtesy Le Troisième Pôle.
Caroline Couraud.
Caroline Couraud.
Courtesy Le Troisième Pôle.
La Cité Fertile, Pantin.
La Cité Fertile, Pantin.
Photo Adrien Roux/La Cité Fertile.
Projet de la gare Saint-Denis Pleyel développé par la Société du Grand Paris et Manifesto.
Projet de la gare Saint-Denis Pleyel développé par la Société du Grand Paris et Manifesto.
© Société du Grand Paris/Kengo Kuma and Associates/Manifesto, Paris.

Article issu de l'édition N°2041