Le Quotidien de l'Art

Marché

Quel avenir pour le marché de l'art britannique ?

Frappé de plein fouet par la pandémie et le divorce imminent du Brexit, le commerce de l'art en Grande-Bretagne est en difficulté mais garde confiance en l'avenir. Selon une enquête alarmante publiée en avril par The Art Newspaper, il s’attend à perdre en 2020 près de 80 % de ses recettes annuelles, les petites galeries étant les plus susceptibles de faire faillite. Par ailleurs, les autorités fiscales brossent un tableau plutôt sombre de la situation : les exportations d'œuvres d'art ont chuté de 75 % au deuxième trimestre 2020, et les importations de 80 %. Ces chiffres inquiétants s’expliquent par la double menace qui pèse sur le marché de l'art : le confinement, qui a entraîné l'arrêt de toute activité pendant plus de trois mois, et l’entrée en vigueur imminente du Brexit. Au moment où nous écrivons ces lignes, les conditions définitives de la sortie de l’Union européenne sont toujours en discussion, mais elles pourraient avoir des conséquences préoccupantes sur le marché de l'art.

Selon Anthony Browne, président de la British Art Market Federation, « l'effet de la pandémie est dramatique actuellement et il est impossible d’en prévoir les effets à long terme ». Browne a œuvré sans relâche pour atténuer les conséquences de la crise, non sans remporter quelques succès, par exemple en obtenant que les salles de vente et les galeries puissent rouvrir en juin. « En ce qui concerne le Brexit, dans l’état actuel des choses, 75 % du commerce de l’art au Royaume-Uni ne se fait pas avec l'UE. Le secteur n’est donc pas totalement démuni, ajoute-t-il. Et de nombreux expéditeurs dédouanent dans leurs entrepôts, et non dans les ports. Toutefois, il est évident que les formalités administratives vont être encore plus lourdes. » 

Avenir incertain pour les salles de ventes

Il est à peu près certain que le marché de l'art britannique – actuellement le deuxième au monde selon le rapport d’UBS/Art Basel – va se contracter, tout comme le marché mondial. L'ampleur des pertes d'emplois n’apparaîtra que lorsque prendra fin l'aide gouvernementale aux entreprises, le 31 octobre. Les galeries, les salles de vente et les musées licencient déjà. Pour Sophie Macpherson, qui dirige une agence de recrutement dans le secteur de l’art, « le chômage va malheureusement considérablement augmenter dès que cessera le très généreux programme de chômage partiel. De plus, les charges foncières, déjà lourdes, et la menace d'une augmentation des impôts viendront renforcer la pression. Quant au Brexit, les problèmes s’expliquent en grande partie par les incertitudes. Quelle forme prendra-t-il ? Rien n’est vraiment clair, et le problème a été exacerbé par le Covid ».

Concernant les ventes aux enchères, les ventes hybrides – à la fois en ligne et live – ont beaucoup contribué à rétablir la confiance : elles ont obtenu de bons résultats, parfois à des prix élevés, comme les 84,55 millions de dollars qu’a atteint chez Sotheby's, le 29 juin, le Triptyque inspiré de l'Orestie d'Eschyle (1981) de Francis Bacon. Mais ces quelques chiffres ne peuvent masquer la réalité d'un marché des enchères en déclin : globalement, les ventes de Christie's, Sotheby's et Phillips ont chuté de 49 % au premier semestre 2020 par rapport à 2019. Les maisons de ventes ont radicalement réduit leurs effectifs, et il est probable que de nombreux types d'enchères ne se feront jamais plus en direct. Qu'adviendra-t-il des grandes salles de ventes qui se maintiennent encore dans les quartiers les plus chers du centre de Londres ? Les sacs à main, les chaussures Nike et autres catégories d’articles « non artistiques » prenant une place de plus en plus importante, aura-t-on encore besoin de locaux aussi luxueux ? « Je pense que, dans un an ou deux, le quartier de Mayfair ne sera plus ce qu’il était, affirme un acteur du second marché qui préfère garder l’anonymat. Les maisons de ventes peuvent organiser des ventes en ligne à partir d'un entrepôt situé dans un quartier moins cher. Certaines galeries fermeront, d'autres déménageront. » 

Morosité ambiante

À l’heure actuelle, le sentiment général est que les grandes galeries sont mieux placées pour faire face à la double menace de la pandémie et du Brexit. Selon les personnes interrogées, les acheteurs vont opter pour des valeurs « sûres », des artistes validés par les collectionneurs et les musées. « Pour beaucoup d’acheteurs, l'art reste un placement, déclare Nick Maclean, qui exerce sur le second marché. Ces acheteurs porteront leur choix sur des artistes consacrés, ce qui, d’une manière générale, profitera aux grandes galeries. » Emma Ward, de Dickinson & Co, qui travaille également sur le second marché, demeure optimiste et conteste l’interprétation qui est faite de la baisse des exportations : « Les chiffres sont trompeurs. Pendant la pandémie, on ne nous accordait pas de licences d'exportation, et les expéditions, y compris par avion, étaient soumises à des restrictions. Je ne pense pas que le tableau soit aussi sombre que ces chiffres le laissent entendre. » En ce qui concerne le premier marché, les galeries de taille moyenne semblent les plus menacées, beaucoup ayant déjà réduit leur personnel, et les petites galeries sont vraiment sous tension. « Les financiers parlent d'une récession en forme de "U". Comment une galerie de l'East End de Londres, qui faisait déjà difficilement des bénéfices, peut-elle survivre ?, demande le même marchand anonyme. Je pense que beaucoup vont couler. »

Quant aux foires d'art, la plupart ont été reportées, du moins dans leur manifestation physique. C’est le cas notamment de Frieze, pierre angulaire du calendrier artistique britannique. Les marchands que nous avons contactés feront moins de salons à l'avenir, et certains ont même décidé de n'en faire aucun l'an prochain. Leur argument est que les économies réalisées sur les frais de séjour, les déplacements, le coût du stand et des réceptions compensent la baisse de revenus. C'est une mauvaise nouvelle pour les organisateurs de foires, qui envisageront à l'avenir des manifestations moins ambitieuses et plus locales.

Malgré cette morosité ambiante, certains nouveaux venus soutiennent Londres. Lehmann Maupin, de New York, fait partie des 27 galeries d’art non-Britanniques qui rejoignent le nouveau bâtiment d'exposition partagé de Cromwell Place, à South Kensington, qui ouvre le 10 octobre (l'autrice de cet article est présidente du comité des membres de Cromwell Place, ndlr). La fille de Charles Saatchi, Phoebe Saatchi Yates, et son mari Arthur Yates ouvrent une nouvelle galerie dans Cork Street. Ils y présenteront des artistes « inconnus », mais proposeront des œuvres du second marché au rez-de-chaussée. L'ancien directeur de la foire, Niru Ratnam, vient d'inaugurer une petite galerie à proximité de Carnaby Street, et la marchande de Hongkong Nicole Schoeni a créé cet été un project space dans le sud-ouest de Londres. Le commerce semble reprendre : selon Nick Maclean, « la crise a fait baisser le volume des ventes, mais on constate depuis quelque temps une augmentation bienvenue de l'activité des collectionneurs ».

Article issu de l'édition N°2026