Lundi 6 juillet, jour où le Louvre rouvrait après trois mois et demi de fermeture en raison de l’épidémie de Covid-19, 12 400 personnes franchissaient, sur réservation, les portes du musée le plus fréquenté au monde (9,6 millions en 2019, soit une moyenne d’un peu plus de 30 000 par jour). Depuis deux semaines, il accueille entre 7 500 et 9 000 personnes quotidiennement (dont beaucoup de jeunes), soit la quasi-totalité des créneaux disponibles à la réservation, qui a augmenté de 520 %, malgré une jauge réduite de manière drastique. Parmi elles et eux, 60 % de Français.es (contre 25 % habituellement), et essentiellement des touristes venant des pays d’Europe : Allemagne (10 %), Espagne, Italie, Grande-Bretagne et Belgique. Ceux venant des États-Unis, qui sont en temps normal les visiteurs étrangers les plus nombreux, ne sont que 2 %, tandis que les ressortissant.e.s de Chine sont rares.
« Il y a peu de monde – en particulier pas de groupes, sauf les enfants –, c’est un luxe agréable », raconte Camille, 20 ans, étudiante en histoire de l’art à l’École du Louvre, qui explique que la réservation permet de réduire les sempiternelles files d’attente (même quand on bénéficie de l’entrée gratuite, notamment aux accès de sécurité). Bémol : « Avec la réservation on est obligé de prévoir sa visite, on ne peut pas improviser, alors que le Louvre est aussi un lieu de flânerie, de promenade. » Là comme ailleurs, le port du masque est obligatoire, rendant la visite « difficile », selon Camille. « Surtout quand elle est longue comme c’est souvent le cas au Louvre. » Au contraire, pour Hugo, 28 ans, « le port du masque, qui est surtout destiné à respecter les autres visiteurs et le personnel, rassure ». Autres mesures prises au Louvre : l’absence de vestiaires, une ouverture des salles limitée à 70 % et l'instauration de parcours fléchés, avec impossibilité de retour en arrière. Exit la visite « papillonnante » le nez en l’air : on attendra des jours meilleurs pour goûter à nouveau au plaisir de se perdre dans le Louvre, gardiennes et gardiens nous invitant à suivre une route tracée pour éviter les embouteillages et attroupements qui vont à l’encontre des gestes barrières. Cependant, signale Hugo, « la signalétique n’est pas claire, les gardiens sont eux aussi un peu perdus et ne savent pas forcément quelles salles sont ouvertes ».
Le jeune homme remarque par ailleurs que « de nombreux outils de médiation tombent à l’eau, notamment les écrans tactiles, puisqu’on n’a pas le droit d’y toucher… » C’est le cas en particulier dans la Petite Galerie destinée aux enfants, qui présente une exposition sur le portrait d’artiste. Le musée des Confluences de Lyon, rouvert dès le 2 juin, rapporte que les visiteurs ont également tiqué sur l’impossibilité d’accéder aux outils pédagogiques tactiles, essentiels dans le parcours du musée. En contrepartie la demande sur la médiation a explosé, avec une augmentation de 25 % des réservations pour les ateliers ou la médiation « volante », dans les salles.
Voir en vrai
« Depuis quelques mois on aborde le quotidien différemment, cela en fait partie aussi », philosophe Camille. Elle évoque son expérience récente au musée Maillol, qui présente jusqu’au 1er novembre l’exposition « Esprit es-tu là ? » sur des artistes spirites : « On prend la température des visiteurs à l’entrée, ça fait un drôle d’effet ! » Un peu partout du gel hydro-alcoolique est proposé (contrairement au Louvre) : « C’est rassurant, on se sent en sécurité ici », estime Camille, qui, au lieu de partir en Europe comme elle le fait chaque année, a prévu cet été d’aller dans des musées de France qu’elle n’a jamais eu l’occasion de visiter. Pour Hugo aussi il était important de retourner au musée, mais aussi dans les galeries : « On retrouve des repères, quelque chose de familier. » Les visites en ligne proposées pendant le confinement l’ont plus ou moins convaincu : « J’y ai fait des découvertes, et ça m’a donné envie d’aller voir en vrai, même si la médiation, qui jouait trop souvent sur l'aspect divertissement, était globalement assez ratée. »
S’il est encore tôt pour dessiner le profil type du visiteur ou de la visiteuse « déconfiné.e », il semblerait que le public revenu le plus rapidement au musée soit plutôt celui des habitué.e.s. Et pourtant Paul, 50 ans, grand amateur de musées et de patrimoine, n’a pas envie d’y retourner. Du moins pas encore. Il préfère, dit-il, « être dehors, dans les jardins, les monuments historiques, les châteaux. Et pas dans les grands musées qui me font un peu peur ». « Avec le masque, que je trouve très gênant, on fait les visites plus rapidement, on a du mal à échanger avec les autres. Les parcours contraints sont contraires à ma façon de visiter les musées », ajoute-t-il, avant de conclure : « Avec le déconfinement, les terrasses ouvertes dans l’espace public, etc., on a tendance à oublier l’épidémie. La visite au musée nous y ramène. »