Les chiffres parlent d’eux-mêmes. S’il y a bien un secteur pour lequel le confinement a joué en la faveur, c’est celui du jeu vidéo : entre les 16 et 22 mars, 2,74 millions de jeux en téléchargement auraient été vendus dans la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique. Soit un bond de 53 % par rapport à la semaine précédente, relate le site gamesindustry.biz. Le cabinet Superdata a également publié un rapport dont les chiffres sont révélateurs : sur le mois de mai 2020, les dépenses consacrées aux jeux vidéo ont atteint 10,2 millions de dollars (contre 8 millions en mai de l’année précédente), à peine moins qu’en avril où elles se sont élevées à 10,5 millions. De son côté, l’Organisation mondiale de la santé, plutôt habituée à tirer la sonnette d’alarme sur les dangers potentiels liés à une consommation addictive du média, a retourné sa veste pour louer certains bienfaits du gaming pendant le confinement : s’associant à plusieurs géants du secteur vidéoludique, l’OMS a lancé la campagne « Play Apart Together » et par là-même encouragé gameuses et gameurs à continuer de se sociabiliser tout en restant chez eux.
Animal Crossing, nouvel outil de médiation ?
Un jeu a connu un succès particulier, Animal Crossing : New Horizons, dont 5 millions d’exemplaires ont été vendus au mois de mars. Disponible sur Nintendo Switch, il donne la possibilité de créer une île virtuelle et de rendre visite à d'autres joueurs et joueuses. Conscients du potentiel de ce jeu de console, quelques musées s’en sont emparés le temps du confinement, majoritairement dans les pays anglo-saxons. « Je joue à titre personnel et connais assez bien la licence, explique Léo Tessier, médiateur scientifique au Muséum d’Angers. Au sein du jeu, le musée et quelques spécimens sont bien représentés : je me suis dit que nous pouvions donc l’exploiter. » Léo Tessier a fait une visite test : « Connectés à la fois sur Animal Crossing et sur Skype, les visiteurs et visiteuses ont suivi une visite guidée pendant 45 minutes. » Par Skype, le médiateur donne des explications au public virtuellement présent. « Avant la visite, le temps que chacun et chacune se connecte, il y a toujours un petit temps de latence, c’est l’occasion de faire connaissance avec les personnes présentes mais ça reste un peu plus froid qu’un accueil in situ au musée », concède-t-il. Après la première prise de contact, Léo Tessier parle du rôle d’un musée puis se concentre sur les insectes, fossiles et poissons : « J'essaie de mêler savoirs théoriques et anecdotes pour rythmer la visite », développe-t-il. Le public, d’ailleurs, est assez divers et pas forcément de la région. « Il y a eu à la fois un public familial, habitué du Muséum, mais aussi des jeunes entre 20 et 30 ans, généralement des joueurs et joueuses qui ne connaissaient pas le musée et n’en avaient pas nécessairement visité un récemment », poursuit Léo Tessier.
Aux États-Unis, le Getty Museum a quant à lui proposé aux gameurs et gameuses d’importer des tableaux issus de leur collections (et libres de droits) au sein d’Animal Crossing. Le musée a développé un outil spécifique, un générateur d’art, permettant aux utilisateurs et utilisatrices d’agrémenter leur île et intérieur de quelques œuvres. À Reading, le Musée de la vie rurale anglaise les a incités à recréer des pièces de leur collection. Certain.e.s s’en sont donné à cœur joie en habillant leur avatar de blouses et robes rurales dont les photographies sont disponibles sur le site du musée. Un bon moyen de garder le lien avec un public confiné et d’en attirer un nouveau : le musée projette de faire une exposition des diverses créations réalisées sur Animal Crossing à partir de leur collection.
Jouer avec les musées
Rencontrer un public différent, tel était également l’objectif du Centre Pompidou lorsqu'il a lancé son premier jeu vidéo gratuit, Prisme 7, le 24 avril. « Le jeu vidéo nous permet de toucher un segment de public intéressant et pas seulement jeune ou adolescent, abonde le directeur adjoint des publics au Centre Pompidou, Patrice Chazottes. Cela nous permet également d’analyser les pratiques culturelles des personnes, qui évoluent beaucoup, notamment par le biais du numérique. » En préparation depuis plus d’un an, la sortie de Prisme 7 a été un peu avancée en raison du confinement. Conçu avec la Game Society et Bright, ce jeu de plateforme propose une déambulation au sein d’un Centre Pompidou modélisé et invite les utilisateurs et utilisatrices à interagir avec une sélection de 40 œuvres issues des collections du musée. « Le jeu fonctionne sur sept niveaux dont la difficulté augmente petit à petit, détaille Patrice Chazottes. À la fin, les joueurs ont leur recueil d’œuvres d’art, découvertes dans des univers étudiant les liens entre la couleur et l’émotion, la fonction, la lumière, l’immersion… ». Le but : apprendre en s’amusant. Et force est de constater que beaucoup ont été sensibles, pendant le confinement, à ce type d’initiative : « Une semaine après le lancement du jeu, nous comptions déjà 15 000 téléchargements », se réjouit Patrice Chazottes.
Pourtant, la période n’a pas été profitable à tous et toutes dans ce secteur, loin de là. Consacré aux jeux vidéo depuis plus de trois ans, le Pixel Museum de Schiltigheim est contraint de fermer ses portes, plombé par un loyer trop élevé, « l’absence de soutien de collectivités, une configuration ne permettant pas de se développer et l’impossibilité d’accueillir le public dans des conditions de sécurité sanitaires », a expliqué à l'AFP le directeur de l’établissement, Jérôme Hatton. Une perte pour l’univers vidéoludique dont c’était l’unique musée permanent en France…