Comment assurer la manutention des œuvres dans le respect des gestes barrières, partager le sensible avec le public en évitant la promiscuité, transmettre le virus de l’art sans inoculer le Covid-19 ? C’est le casse-tête de nombreux métiers de la culture dont l’activité se trouve entravée par les règles de distanciation sociale.
« Travailler avec des gants, se laver les mains, on sait faire », relativise Jean-Michel Jagot, régisseur au MAC/VAL, à Vitry-sur-Seine. La prochaine exposition qu’il doit monter n’aura lieu que fin janvier. D’ici là, il sera mobilisé, avec un de ses collègues, au récolement des collections. « Rien d’insurmontable », renchérit Tiphaine Ameli, régisseuse au Louvre-Lens. Armée d’un masque lavable jusqu’à 60 fois, de flacon de gel portatif et de gants en nitrile, elle s’est attelée à l’installation des 40 dernières œuvres de l’exposition « Soleils noirs », en vue d’une réouverture du musée le 3 juin. « La difficulté viendra quand il y aura des manipulations plus compliquées, pour lesquelles il faut quatre personnes, précise-t-elle. Les protocoles sanitaires feront peut-être perdre une heure dans la journée, mais ce n’est pas trop grave. » Les transporteurs, qui pendant le confinement ont opéré au ralenti, s’arrachent davantage les cheveux. Chez Grospiron, où 10 % des employés ont fait valoir un droit de retrait, les emballeurs disposent de combinaisons jetables de type 5 et les équipes opèrent en semaines décalées. « Mais comment bouger un tableau de six mètres par trois avec les règles de distanciation ? », s’inquiète son directeur, Alex Haddad.
Les contraintes sanitaires ont aussi un impact sur l’activité des restaurateurs indépendants. Le ministère de la Culture, qui a rédigé des fiches pour les musées et bibliothèques, n’a envisagé aucun vade-mecum spécifique à leur intention. La Fédération française des professionnels de la conservation-restauration a en revanche annoncé des pistes, mais plutôt pour les restaurateurs de bâtiment historiques. « Ma crainte quand je retournerai dans mon atelier, c’est de contaminer mes collègues. Il va falloir faire attention au moindre geste », confie la restauratrice de textiles Aude Mansouri, qui partage un atelier de 100 m2 avec cinq autres restauratrices. Sans oublier qu’il est impossible de désinfecter des œuvres d’art au gel hydroalcoolique... Par ailleurs reste en suspens la question de l’approvisionnement en masques FFP2, pour l’instant réservés aux professions dites prioritaires, et le surcoût lié aux opérations de désinfection. « Nous aimerions imputer le prix des équipements de sécurité et l’impact des gestes barrières sur la productivité, en particulier quand on travaille sur place dans les instituions, observe Aude Mansouri. Mais nous sommes dans un milieu où les prix sont tendus et la concurrence est rude, ce ne sera pas forcément possible... »
Mobiliser le public
Les médiateurs, dont le travail repose sur la proximité avec le public, devront aussi mettre en place de nouveaux protocoles de visite. « Il faudra trouver des objets de médiation qui permettent de créer des récits avec des tablettes numériques faciles à désinfecter », observe Florence Marqueyrol, médiatrice à la Galerie, à Noisy-le-Sec. Au Louvre-Lens, on préfère ajourner la médiation de groupe et les ateliers pour enfants, si ce n’est de manière très exceptionnelle pour quelques classes scolaires. « On va observer la première semaine le comportement des visiteurs dans les salles d’exposition », indique Juliette Guepratte, cheffe du service des publics.
Pour les guides, dont l’activité repose pour 70 à 80 % sur une clientèle étrangère, pas de reprise en vue avant le redémarrage touristique, au mieux au printemps 2021. Tous espèrent néanmoins réduire la casse cet été en mobilisant le public français. En réponse à une sollicitation de la Ville de Paris, la Fédération nationale des guides, interprètes et conférenciers (FNGIC) a composé une fiche métier, validée par le personnel médical. Avant toute visite, une fiche d’informations serait adressée aux clients précisant l’ensemble des mesures de précautions appliquées par leurs guides. Ces derniers doivent s’assurer que leurs clients seront munis de leurs propres oreillettes et de leurs masques, obligatoires, sous peine de ne pas pouvoir suivre à la visite. Le port du masque rendant la voix des guides inaudible, ces derniers sont invités à porter une visière ou un chapeau visière. Le paiement de la prestation devra être réglé à l’avance pour éviter l’échange d’argent sur place. Pendant la visite, le guide se désinfectera les mains après chaque contact (porte, grille, etc). Pour les conférences dans les musées ou en milieu urbain, les audiophones seront indispensables pour respecter les règles de distanciation sociale. Seules les visites en pleine nature pourraient en être exemptes. La logistique a beau sembler fastidieuse, Armelle Villepelet, présidente de la FNGIC, préfère voir le bon côté des choses : « des conditions de visite plus agréables étant données les restrictions d’affluence sur les sites et dans les musées ».