La nouvelle du confinement au Québec, le 13 mars dernier, a eu pour conséquence quasi immédiate la mise à pied de la quasi-totalité des employé.e.s des musées privés ou semi-privés, ainsi que le confiait Jean-François Bélisle, directeur du musée de Joliette. De son côté, le musée des beaux-arts de Montréal a résisté à cette solution drastique jusqu’au 30 mars, pour mettre ensuite en place un système de réduction des heures et de salaires grâce à un montage élaboré avec sa fondation, antenne qui s’occupe principalement de la philanthropie. C’est la même solution qui aura été choisie à l’Art Gallery of Ontario, tandis que le ROM (Royal Ontario Museum) aura mis à pied près de 500 employé.e.s et réduit salaires et emplois du temps. Idem en Alberta, de l’autre côté du pays, où le Banff Centre for Arts and Creativity et le Glenbow Museum auront effectué des licenciements massifs. Certaines institutions se sont parfois retrouvées réduites à leur plus simple appareil, soit un seul poste de direction. Du côté des centres d’artistes et des musées d’état, les postes ont été maintenus, tandis que les galeries réduisaient aussi leur staff à une peau de chagrin. Toutefois, il convient de signaler la décision de la galerie Catriona Jeffries à Vancouver de maintenir tous ses collaborateurs en poste.
Face à cette hémorragie et aux amputations dans les programmations, la réactivité et la générosité du gouvernement fédéral ont surpris, amenant 90 % des institutions à ré-embaucher. Ainsi Jean-François Bélisle a-t-il pu réintégrer la plupart de ses collaborateurs en télétravail (celles et ceux qui ne dépendaient pas de l’accueil du public par exemple), grâce à une disposition gouvernementale couvrant 75 % des salaires, à condition d’attester de pertes de revenus d’au moins 30 %. Ceux-ci étant réduits à néant, la preuve n’a pas été difficile à apporter pour bénéficier de ce premier dispositif d’aide.
Plus spécifiquement, le ministère de la Culture, qui est ici un ministère du patrimoine, a débloqué un fonds d’urgence de 500 millions de dollars (partagés avec le sport !) pour alléger la pression financière sur les partenaires qu’il subventionne et lancé aussi un programme d’aide aux musées de 53 millions de dollars, sans que soient encore connues ses modalités. Quant au Conseil des Arts du Canada, il a décidé de devancer tous les versements de subventions, généralement ventilés sur l’année en plusieurs versements. C’est également ce qu’ont fait les organismes subventionnaires provinciaux et municipaux afin d’offrir une respiration financière bienvenue à des institutions souvent fragiles. Du côté du Québec, on attend toujours des annonces et des dispositions spécifiques de la ministre de la Culture, notamment au sujet des aides à la réouverture dont le coût sera faramineux.
Initiatives spontanées
Du côté des artistes, critiques, commissaires indépendant.e.s et différents métiers de l’exposition, rien de spécifique, si ce n’est qu’ils peuvent bénéficier de la Prestation canadienne d’urgence universelle, dispositif fédéral offrant à chacun.e 2000 dollars dès lors que le Covid-19 a entrainé une perte d’emploi ou de revenu autonome. En Ontario, tous les contrats pour des montages d’expositions avortées ont aussi été honorés, afin d’aider tous ces travailleurs et travailleuses autonomes à garder un peu la tête hors de l’eau.
Et puis il y a ces petites initiatives qui font du bien. Axe Néo7, centre d’artiste installé à Gatineau, juste en face d’Ottawa, a mis sur pied des résidences d’autoconfinement, soit 1500 dollars canadiens pour une dizaine de lauréat.e.s afin de réaliser chez soi un projet spécifique. De son côté, Sara A. Tremblay, elle-même artiste, technicienne et enseignante à l’UQAM, a ouvert sur Facebook dès le début de la pandémie, les « Encans de la Quarantaine ». Il s’agit d’y proposer aux enchères des œuvres inédites d’artistes qui, pour la plupart, n’ont pas de galerie pour les représenter. Ces œuvres de tous formats et médiums, dont le prix de départ oscille entre 80 et 250 dollars, ont pu atteindre la somme maximale de 1000 dollars. La somme va intégralement aux artistes, sans commission, ni frais. Les Encans font cela très sérieusement, avec un comité de sélection, des notules explicatives de la démarche.
Aux côtés de ces initiatives spontanées et stimulantes, même les gros joueurs jouent de solidarité. Ainsi, le Prix Sobey, le plus prestigieux au pays, qui dote habituellement un.e artiste de 100 000 dollars et les quatre finalistes de 25 000 dollars chacun.e, a décidé, pandémie oblige, de récompenser chacun.e des 25 artistes présélectionné.e.s de 25 000 dollars. Quant au Musée d’Art Contemporain de Montréal, c’est l’intégralité de son budget d’acquisition qui sera consacré à des achats d’artistes uniquement québécois. Habituellement, la préférence québécoise s’exerce à hauteur de 70 % de l’enveloppe, mais le musée entend donner un peu de souffle à la communauté. Il compte même doubler ce montant grâce aux dons sur lesquels s’appuie habituellement l’institution. Mais c’est bien ce type de logique qui se heurte le plus sévèrement à la situation actuelle.
Des ressources privées taries
Car le nerf de la guerre de la plupart de ces établissements, ce sont les revenus autonomes et surtout, la philanthropie. L’inquiétude est grande pour tous les organismes. Car ce carburant essentiel s’est immédiatement tari. En fin d’exercice budgétaire, la nouvelle du confinement et de l’arrêt de l’économie a eu pour conséquence immédiate la rétraction de nombreux dons. L’année qui vient risque donc de mettre en péril bien des lieux qui anticipent des pertes colossales – plusieurs centaines de milliers de dollars à Joliette par exemple. Les galas qui servent d’ordinaire à faire rentrer de l’argent frais dans les caisses de ces structures pourraient sembler à l’avenir bien futiles après ces temps de pandémie mortelle. Même les centres d’artistes qui ont pour habitude de mettre sur pied des ventes caritatives pour soutenir leur programmation vont devoir aussi se réinventer, admet Chloé Grondeau, directrice du centre Diagonale. Car l’argent de la bienfaisance ira sans doute moins spontanément qu’avant vers la culture. D’autres fermeront, purement et simplement, un constat qui se vérifie jusque dans les galeries universitaires.
Dans ce marasme qui force les musées et lieux d’exposition à se restructurer et à réinventer leur modèle économique vitesse grand V, Nathalie Bondil, directrice du musée des beaux-arts de Montréal, garde son indéfectible fibre positive : « Je n’ai jamais autant rencontré de monde qu’en ce moment », confie-t-elle – en ligne, on s’entend. Et il est vrai que les musées se serrent les coudes, échangent comme jamais à travers la province et le Canada, tissant des liens que la taille du pays et la disparité des structures n’auraient auparavant pas facilité. Une concorde nationale inédite.