Le Quotidien de l'Art

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Aux Etats-Unis, 4,5 milliards de pertes pour le milieu culturel

Aux Etats-Unis, 4,5 milliards de pertes pour le milieu culturel
Artport, la plateforme en ligne du Whitney Museum pour le net art.
© 2020 Whitney Museum of American Art.

Les musées mastodontes de la Fifth Avenue sont déserts – vides de gens, mais remplis comme jamais d’œuvres d’art –, silencieux et inertes tandis qu’un fléau fait rage autour d’eux. De la Frick Collection au Guggenheim Museum de Frank Lloyd Wright, en passant par le Met, nous voyons ce paysage se transformer en nature morte. Karl Lagerfeld avait pour habitude d’appeler le Met le « Necropolitan Museum of Art », en raison de la réticence du musée à montrer des artistes contemporains. Dans le contexte actuel, cette image gagne en pertinence. Et ce n’est pas un phénomène propre à la Fifth Avenue. Partout aux États-Unis, les musées sont fermés. Selon une enquête de Americans for the Arts, on estime que les organismes artistiques et culturels des États-Unis ont perdu un total de 4,5 milliards de dollars en raison de la crise sanitaire. L’enquête affirme que 94 % des événements ont été annulés et 23 % des organismes ont procédé à des licenciements.  

L’Association of Art Museum Directors (AAMD) représente 227 musées. Il y a aux États-Unis des centaines de petits musées. La plupart ne rouvriront sans doute pas leurs portes avant la fin de la quarantaine, dont la date reste incertaine. À New York, épicentre actuel de l’épidémie, il faudra potentiellement attendre début août ou même plus tard. Les musées hors de New York ne sont pas forcément des gros employeurs, mais leurs visiteurs dépensent leur argent comme le font les touristes : dans les hôtels, restaurants ou magasins qui emploient de nombreuses personnes. Une étude réalisée en 2018 par la Andrew W. Mellon Foundation estimait l’impact économique national des musées à plus de 50 milliards de dollars. Dans une ville comme New York, qui attire plus de 65 millions de visiteurs chaque année, l’impact de la fermeture des musées est déjà énorme. 

Le refuge dans le numérique

Cinq mois de fermeture signifieraient une perte de 30 millions de dollars pour les revenus de billetterie d’un musée comme le MoMA, qui a récemment achevé des travaux d’agrandissement à hauteur de  450 millions de dollars. Le MoMA ne bénéficie d’aucune aide d’État. Le Guggenheim non plus – ce musée risque de perdre 10 millions de dollars en revenus de billetterie. Ces chiffres ne prennent pas en compte les pertes en termes de levées de fonds. Dès le lendemain des attaques du 11 septembre, les musées de New York ont rouvert leurs portes afin de rassurer les habitants. Aujourd'hui fermés, ils se précipitent pour s’adapter et mettent à disposition sur leurs sites internet des vues d’expositions ainsi que des visites virtuelles. Après avoir fermé son exposition à succès consacrée aux muralistes mexicains (désormais consultable en ligne), le Whitney Museum met en avant son support numérique « artport », un portail créé en 2001 et dédié au Net Art et aux nouveaux médias – qui d'autre que les technophiles le savait ? Même la Frick Collection, autrefois considérée vieux jeu, propose des supports numériques en ligne. 

Le Philadelphia Museum of Art (PMA), fermé au moins jusqu'au 30 juin, met gratuitement à disposition sur son site le contenu de l'épais catalogue de « Old Masters Now », une exposition récente réalisée à partir de la collection John G. Johnson qui est au cœur du musée – une initiative peu répandue dans les musées américains. Pourquoi n’y a-t-il pas plus de musées qui suivent l’exemple du PMA, alors que les visiteurs ne peuvent venir ? Les produits vendu en boutique ou en ligne correspondent à environ 5 % du bénéfice net des musées américains – des bénéfices impossibles à réaliser en ce moment. Le Guggenheim a fermé ses boutiques, sur site et en ligne. Cela n’aurait pas pu arriver à un pire moment. Un nouveau documentaire consacré à la pionnière de l’art abstrait suédoise Hilma af Klint (1862-1944) sortira ce mois-ci en ligne. Elle avait fait l’objet d’une exposition en 2019 qui avait attiré 600 000 visiteurs et pour laquelle le musée a enregistré des ventes records de marchandises. 

Des pertes majeures pour les musées

Pas de visiteurs non plus au Brooklyn Museum, dont l’exposition « Studio 54: Night Magic » rend hommage aux années disco célébrant l’excès et la décadence, jusqu’à ce qu’un autre fléau, le sida, mette fin à la fougue. Le musée a fermé ses portes le 12 mars, avant qu'une bacchanale nostalgique ne vienne lever le rideau sur l’exposition. Dans les galeries du musée, la danse est pour le moment figée dans le temps. La directrice du musée, Anne Pasternak, a annoncé que l'institution avait déjà perdu 19 millions de dollars en dotation et en revenus annuels prévus, et sollicite une aide fédérale par le biais du Paycheck Protection Program (PPP). L’exposition « Frida Kahlo: Appearances Can Be Deceiving », qui avait lieu au De Young Museum de San Francisco, a été installée dans un espace souterrain, puis reportée à « la fin du printemps », dans une autre capsule temporelle.

Un porte-parole du Philadelphia Museum of Art a annoncé des licenciements, sans plus de précision à l'heure actuelle. Le Met a annoncé que le personnel sera payé jusqu’en mai, et le MoMA a licencié l’ensemble de ses 85 prestataires de services éducatifs, employés à temps partiel. De nombreux appels ont été lancés aux musées pour qu'ils utilisent leurs dotations afin de payer les employés pendant ces fermetures, qui pourraient s'étendre jusquà l'été. Le plan de sauvetage fédéral américain d'urgence ne promet que 1200 dollars aux particuliers, et des retards de paiement sont à prévoir. Les dotations – 3,6 milliards de dollars au Met – sont des fonds investis auxquels les musées et universités privées ne touchent quasiment jamais. Les sceptiques disent que même une crise comme celle du covid-19 ne brisera pas ce schéma, et que les musées confrontés à des pertes ne seront pas généreux avec le personnel.

Raz-de-marée pour les galeries

Alors que David Zwirner invite les galeries new-yorkaises dans sa « viewing room » Platform: New York, le coronavirus pourrait bien sonner le glas pour beaucoup d'autres galeristes. La tendance était de voir des galeries bondées au moment des vernissages, puis presque désertes. Les méga-galeries internationales et les petits lieux non commerciaux (ou à peine), qui fonctionnent également comme des communautés, sont l’exception. Les insiders disent s'attendre à voir beaucoup d'espaces proposés à la location dans le quartier de Chelsea d'ici l'automne, à cause des galeries qui fermeront leurs portes. En ce qui concerne le monde des enchères, contraint pour le moment à organiser les ventes en ligne, les nouvelles tragiques pour certains peuvent être de bonnes nouvelles pour d’autres : les pires pronostics pour le covid-19 concernent les patients âgés de plus de 80 ans, un groupe d’âge qui comprend un grand nombre de collectionneurs d’art. Comme toujours, les auctioneers gardent les yeux grands ouverts.

Couverture du catalogue « The John G. Johnson Collection: A History and Selected Works », publié en ligne par le Philadelphia Museum of Art.
Couverture du catalogue « The John G. Johnson Collection: A History and Selected Works », publié en ligne par le Philadelphia Museum of Art.
© 2018 Philadelphia Museum of Art.
Les rues vides de l'Upper West Side de New York pendant l'épidemie de Covid-19, le 06 avril 2020.
Les rues vides de l'Upper West Side de New York pendant l'épidemie de Covid-19, le 06 avril 2020.
© Adela Loconte/REX/SIPA.
Les rues vides de Manhattan, New York, pendant l'épidemie de Covid-19, le 07 avril 2020.
Les rues vides de Manhattan, New York, pendant l'épidemie de Covid-19, le 07 avril 2020.
© Adela Loconte/REX/SIPA.
Herald Square le 7 avril 2020, vide en raison de l'épidémie de coronavirus qui continue à toucher New York.
Herald Square le 7 avril 2020, vide en raison de l'épidémie de coronavirus qui continue à toucher New York.
© William Volcov/REX/SIPA.
Le Metropolitan Museum of Art
vu de la place David H. Koch.
Le Metropolitan Museum of Art
vu de la place David H. Koch.


© The Metropolitan Museum of Art.

Article issu de l'édition N°1927