Le Quotidien de l'Art

Politique culturelle

Au Brésil, des mesures en demi-teinte face à l'épidémie

Au Brésil, des mesures en demi-teinte face à l'épidémie
Exposition « (Still) Brazil », Paço das Artes au MIS en 2018. Daniel Jablonsky a poursuivi ce travail de recherche dans « Hy Brazil » pour SP Arte qui devait avoir lieu début avril.
© Lauro Rocha.

Le Brésil n’est pas épargné par le coronavirus, et dès le 13 mars, la mairie de São Paulo a suspendu tous les grands rassemblements, y compris la foire SP Arte, qui devait avoir lieu du 1er au 5 avril.

L’année 2020 n’était déjà pas un grand cru pour la culture au Brésil. Le scénario se noircit davantage encore avec le coronavirus qui pousse les institutions culturelles à fermer leurs portes. SP Arte, la plus grande foire brésilienne d’art contemporain, a reporté sa 16e édition, prévue début avril. « Étant un événement international, nous ne pouvons pas encore mesurer les impacts logistiques et opérationnels qui augmentent à chaque restriction de mobilité et fermeture de frontière », souligne le communiqué émis dès le 12 mars.

Mais le public brésilien ne semble pas avoir encore pris la mesure de l’effort collectif requis par cette crise. Pour preuve, de nombreux musées n’ont pas revu leur programmation. La Pinacothèque a ouvert samedi l’exposition « Hudinilson Jr », et l’Institut Moreira Salles (IMS) maintenu celle de la chilienne Paz Errázuriz, même si la rencontre avec la photographe a été annulée. « Il n’est pas raisonnable de paralyser de façon précipitée un État de 46 millions d’habitants », estime le gouverneur João Doria, en campagne permanente. L’État de São Paulo se targue de fournir du gel hydroalcoolique aux visiteurs. Dans la capitale culturelle du pays, l’adoption de ces mesures en demi-teinte pose question.

Des manifestations pro-Bolsonaro malgré le coronavirus

« Au milieu de la pandémie, un député appelle à manifester », dénonce sur Twitter la journaliste de la Folha de São Paulo, Patricia Campos Mello. En effet, ce 15 mars, près de 250 villes ont vu défiler les soutiens de Bolsonaro. Des images relayées par la présidence sur tous les canaux de communication. Annuler les grands rassemblements, mais pas quand ils font vibrer les couleurs vertes et jaunes du drapeau brésilien pro Bolsonaro ? C’est bien ce qui semble se passer. Et tant pis pour la culture.

Depuis l’arrivée au pouvoir du président d’extrême-droite, le ministère de la Culture a été supprimé, devenant un simple secrétariat d’État, avec à sa tête une ancienne actrice de novela, Regina Duarte, qui assume : « J'ai toujours été et resterai conservatrice. » Le contexte n’est donc pas rassurant pour les milieux culturels, déjà éprouvés par les coupes budgétaires. « Le gouvernement a transformé le secteur culturel en ennemi et le coronavirus crée une tempête parfaite pour le milieu au Brésil qui perd sa principale source de revenus : le public », analyse l’économiste Leandro Valiati, de l’Université du Rio Grande do Sul (UFRGS), dans les colonnes du quotidien Globo. Ce spécialiste de l’industrie culturelle estime que des mesures d’aide économiques doivent vite être proposées au secteur, comme c’est le cas en France ou aux États-Unis.

Parmi les œuvres prévues à SP Arte, certaines étaient criantes d’actualité. Maria Do Carmo devait présenter une rétrospective de plus de 170 artistes morts trop jeunes. « De la Première guerre mondiale à la fièvre espagnole en passant par le VIH ou le terrorisme, ces morts précoces racontent quelque chose de notre société », expliquait-elle à la veille du report de SP Arte. Avec son travail sur la représentation du Brésil à travers le cinéma, le Carioca Daniel Jablonsky interroge lui l’imaginaire de ce pays, toujours soumis à une logique coloniale. « Je suis de la génération de la redémocratisation et je ne reconnais plus mon pays, avec ces élans vers les idées fascistes », se désole-t-il depuis la résidence de la Fonderie Darling, à Montréal, qui se termine à la fin du mois et lui permettait de rentrer présenter « Hy Brésil » dans le secteur Solo de SP Arte.

© Pedro Vannucchi/Instituto Moreira Salles.
Vue de la manifestation pro-Bolsonaro à Porto Alegre le 15 mars 2020.
Vue de la manifestation pro-Bolsonaro à Porto Alegre le 15 mars 2020.
@jairbolsonaro/twitter.

Article issu de l'édition N°1912