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Quarantaine : l'expérience des musées italiens

Quarantaine : l'expérience des musées italiens
Capture d'écran de la page facebook des Offices de Florence, créée par l'institution le 10 mars 2020 dans le cadre de leur campagne de communication Decameron.
© Facebook, 2020.

Un chien qui aboie derrière ce directeur de musée, des enfants jouant au loin derrière cet autre... En Italie, la plupart des grands responsables de la culture travaillent de chez eux et cela s'entend. Fermés le 8 mars pour éviter la propagation du coronavirus (2 978 morts en Italie au matin du 19 mars), les musées italiens ont été les tristes précurseurs européens de la vie portes closes. En télétravail lorsqu'ils ne sont pas en congés payés, les personnels sous contrat sont largement mobilisés sur la communication digitale.

Quiz, photos d'œuvres en lien avec la pandémie (ou la vie domestique !), visite en vidéo des expositions fermées, activités pas à pas pour les enfants... Sous divers mots-dièse – #iorestoacasa (« je reste à la maison »), #laculturanonsiferma (« la culture ne s'arrête pas) »), #museichiusimuseiaperti (musées fermés musées ouverts »)... – tous les musées tentent de maintenir un lien avec leur public et de le divertir en ces temps d'assignation à résidence. Le directeur de la Galerie nationale de l'Ombrie a lancé une playlist Spotify sur le thème de l'art (on y entend Andy Warhol de David Bowie ou encore Magritte de John Cale). Celui de la Pinacothèque de Brera de Milan d'instructives « Notes pour une résistance culturelle » emmenant le visiteur virtuel dans les coulisses du musée.

« La culture et l'art peuvent être d'une grande aide dans ce moment difficile qui demande à tous de grands sacrifices », pense Eike Schmidt, directeur de la Galerie des Offices à Florence. Il a baptisé sa campagne sur les réseaux du nom du Décaméron de Boccace : « Dans ce livre [écrit au XIVe siècle, ndlr], dix jeunes échappent à la contagion de la peste noire en se réfugiant dans une villa sur les collines au-dessus de Florence : pour combattre l'ennui de la retraite forcée, chacun d'entre eux raconte une histoire par jour », explique-t-il. Les Offices font de même, narrant anecdotes et réflexions à partir d'œuvres de la collection : sur Instagram, un post sur un détail botanique du Printemps de Botticelli a été vu plus de 6 000 fois en deux heures.

Pilules d'art

Les vidéos diffusées sur YouTube par le musée d'Art moderne de Bologne (MAMbo) ont plus de mal à trouver un écho (quelques centaines de vues) mais sont plus inattendues : elles nous téléportent chez des artistes, des critiques d'art, des employés du musée... « Chacun les fait avec son téléphone et elles durent le temps d'une chanson, explique Lorenzo Balbi, directeur artistique du MAMbo. On espère que ce format donnera envie à certains de venir nous voir ensuite en vrai. » À Rome, le MAXXI propose aussi de telles « pilules d'art », en version plus léchée, avec un générique et des « concepts » (un psychiatre s'y exprime par exemple sur le sentiment d'isolement).

Le directeur du musée de Capodimonte, à Naples, a préféré des récits écrits, rédigés par ses équipes – toutes en télétravail hormis la quarantaine de gardiens surveillant chaque semaine l'immense site et ses 234 hectares de parc. « Des guides aux jardiniers, en passant par les architectes, chacun a pu contribuer pour raconter une expérience personnelle ou professionnelle et sortir de l'information scientifique habituelle. Un musicien a même réalisé pour nous un sonnet sur le Bosco [le parc entourant le musée, ndlr], s'enthousiasme Sylvain Bellenger. Grâce au digital, nous ne sommes plus ouverts 11 heures par jour mais 24h/24 ! ».

Pas de mesure d'envergure

Les musées essayent de positiver. « Certains travaux techniques et toutes les activités d'entretien courant des ouvrages et du bâtiment se poursuivent dans la limite du respect des règles de sécurité et de prévention. Il est certain que l'absence de visiteurs représente une opportunité avantageuse », glisse Anna Coliva, la directrice de la Galerie Borghèse à Rome. « C'est un temps pour s'occuper davantage de notre communication et de la recherche », disent d'une même voix les directrices du Musée d'art oriental de Venise et de la galerie Estense de Modène. Il faudra renégocier les prêts d'œuvres des expositions de mars, décaler celles à venir... « Nous aurons de sérieux problèmes avec le budget 2020, car les billets constituent une part importante de nos ressources, livre James Bradburne, directeur de la Pinacothèque de Brera. De plus, en ce qui concerne la pénurie de personnel [problème récurrent des structures publiques, ndlr], on ne sait pas exactement quel sera l'impact sur la politique de recrutement maintenant que tant d'argent devra être investi pour combattre le coronavirus. » Outre une indemnisation de 600 euros pour les indépendants (pour le seul mois de mars...) et quelques suspensions de paiement, le gouvernement n'a pour l'instant pas annoncé de mesure d'envergure pour le secteur. 

Photo Fleur de la Haye-Serafini.
Anna Coliva.
Anna Coliva.
© Galleria Borghese.
Eike Schmidt.
Eike Schmidt.
© Ulisse Albiati.
Capture d'écran d'une des vidéos de la série « #iorestoacasa con il MAXXI » proposée par le National Museum of 21st Century Arts sur leur chaîne Youtube.
Capture d'écran d'une des vidéos de la série « #iorestoacasa con il MAXXI » proposée par le National Museum of 21st Century Arts sur leur chaîne Youtube.
© Museo MAXXI/Youtube.
Sylvain Bellenger.
Sylvain Bellenger.
© Museo e Real Bosco di Capodimonte.

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Article issu de l'édition N°1912