Au plus noir de la nuit hitlérienne, en mars 1944, les membres du Conseil national de la Résistance ne rêvaient pas seulement d’une sécurité sociale pour chacun, mais aussi d’une culture pour tous. En cette période de « guerre » contre le virus, le retour en grâce de l’État-providence vise à raison d’abord les hôpitaux et leur personnel, puis les entreprises assurant un service public. Quid de l’avenir des activités culturelles ? La fermeture de tous les lieux où souffle l’esprit ou la rêverie – cinémas, théâtres, salles de concert, opéras, musées... – frappe moins que les écoles. Certains substituts digitaux émergent certes pour continuer, en dépit du confinement, à faire marcher sa tête et son portefeuille. Mais ces alternatives ont un effet pervers déjà criant : lorsque les musées organisent des visites virtuelles, ils s’en remettent aux bons soins de Google Art, lorsque les galeries mettent leurs stocks sur le site d’Art Basel, elles acceptent qu’un intermédiaire se place entre elles et le client final. Le renforcement des GAFA, dopés par le coronavirus, peut-il être l’unique horizon ?
En France déconfinée, le débat sera musclé sur les choix collectifs, s’agissant de la culture. Inutile d’être expert en finances publiques pour anticiper : malgré le recours à l’endettement, l’argent public déjà rare sera encore plus rare. Quelles seront alors les priorités ? L’audiovisuel une fois soutenu, que restera-t-il pour les arts plastiques ? Comme beaucoup de PME, les galeries ressentent déjà sur leurs trésoreries l’effet de l’annulation des foires et de la fermeture jusqu’à nouvel ordre, sans compensation encore tangible par le biais du e-commerce. Peuvent-elles revendiquer un traitement particulier dû à une exception culturelle, parce qu’à la différence du plombier ou du coiffeur, elles soutiennent des artistes ? Le ministère de la Culture a déjà annoncé la couleur : sur les 22 millions d’euros débloqués en urgence, à peine 2 petits millions d’euros seront reversés au secteur des arts plastiques. Des mesures « exceptionnelles » de soutien aux intermittents du spectacle vivant et aux salariés précaires de la culture sont promises.
L’avenir qui se dessine n’a rien de réjouissant : le retour de l’État dans les secteurs essentiels et la réaffirmation de sa souveraineté d’un côté, le darwinisme culturel et la prime aux multinationales des communications et du divertissement de l’autre. Libérés du quotidien chronophage, les professionnels de la culture devront faire un choix de responsabilité : contempler nos fragilités ou imaginer le monde d’après.