Le Quotidien de l'Art

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Remaniements

Remaniements
Couverture de l'Hebdo du 13.03.2020
Mathieu Persan

En France, le coronavirus a contaminé une poignée de députés et, au moins, un ministre, sans bousculer pour autant l’agenda électoral. Et s’il a déjà conduit à repousser les salons et fermer les stades, il est un sport qu’on peut toujours pratiquer même collectivement : le pari sur les prochaines nominations culturelles. L’arrivée de Sam Stourdzé à la Villa Médicis, un joli placard romain dénué de tout pouvoir politique ou diplomatique, libère une fonction hautement plus stratégique : la direction des Rencontres d’Arles, sur un territoire devenu bastion de l’extrême-droite. Dans une ville grignotée par la toute-puissance de Maja Hoffmann, osons formuler le vœu qu’une autre forte femme s’impose – dans le monde de la photo, les hommes sont un peu moins hégémoniques qu’ailleurs, profitons-en. Autre nomination imminente, celle du successeur de Stéphane Martin. Curieusement, on ne s’est pas bousculé aux portillons du Quai Branly, la gestion inévitable de l’épineux dossier des restitutions ayant sans doute refroidi les candidats. Au Centre Pompidou, enfin, arrive à échéance en avril le mandat de Serge Lasvignes, mais il semble probable que l’actuel président soit requis quelques mois, voire un an de plus. L’hypothèse la plus intéressante ? Remplacer d’un même coup le président et l’actuel directeur du musée national, Bernard Blistène, dont le mandat s’achève fin novembre 2021. Et si on profitait de ce calendrier pour fusionner les deux fonctions de président et directeur ? Beaubourg l’a déjà expérimenté par le passé, et l’exemple du Louvre ou d'Orsay prouve qu’il n’est nul besoin de diviser les tâches pour mieux administrer.

En d’autres temps, un autre fauteuil, autrement plus prestigieux, aurait pu susciter l’intérêt des pronostiqueurs patentés, celui du ministre de la Culture lui-même. Malgré la perspective d’un remaniement post-élections municipales – Frank Riester est candidat à Coulommiers –, ce maroquin n’excite personne. Parce qu’on ne tire pas sur une ambulance, a fortiori en période d’épidémie ? Nullement ! Cette fonction, en réalité, a été vidée par des décennies d’inaction et de contraction budgétaire, et il importe peu que le grand bureau de la rue de Valois soit plus ou moins durablement déserté à cause du coronavirus.

A priori, un ministère construit une politique à partir de valeurs. Bien malin qui peut aujourd’hui identifier les politiques et les valeurs du prudentissime locataire actuel. La diplomatie culturelle relève du Quai d’Orsay et de l’Élysée. Le bras de fer avec les GAFA dépend de Bercy. Quant au lien avec les créateurs ou le public, il est entre les mains des établissements publics. Question culture, la rue de Valois s’est aujourd’hui atomisée en guichets à subventions, un Centre national du Cinéma pour le septième art, le Centre national du Livre, le Centre des Monuments nationaux pour le patrimoine et le tout nouveau Centre national de la Musique ? Le CNAP, qui distribue déjà des aides, pourrait s’occuper des subventions gérées par une direction générale de la création artistique dont on peine à comprendre la fonction. 

Bref, si sous le règne de Jupiter aucune nomination n’est « mécanique », il faudrait aussi se dire qu’aucun ministère n’est voué à perdurer ad vitam aeternam. Qui se souvient du bref ministère de la Qualité de vie supprimé en 1981 ? Ou du ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, ceux de la Fonction publique et du Logement évacués par Emmanuel Macron ? Sans pousser la radicalité jusqu’à réclamer la fin d’un symbole forgé par Malraux, on peut espérer sa dissolution dans un plus grand portefeuille liant l’éducation et la culture, deux champs on ne peut plus liés. Une solution qui n’est ni extrémiste, ni inédite – Jack Lang l’a brièvement incarnée en 1992 –, mais pragmatique.

Article issu de l'édition N°1907