Comment en parler autrement qu’à la première personne ? Voisins dans le 14ème arrondissement où nous nous croisions épisodiquement, nous étions ensemble du voyage à New Delhi la semaine dernière pour l’exposition Garouste, avions pris une dernière bière au comptoir de l’aéroport jeudi soir, puis partagé le RER au petit matin gris en planifiant un prochain déjeuner qui aurait été un plaisir avec ce bon vivant, érudit et partageur. Bernard Géniès s’est éteint brutalement avant-hier chez lui, d’une crise cardiaque, à l’âge de 67 ans. Représentant d’une espèce en voie d’extinction – le journaliste polyvalent à la culture encyclopédique –, il gardait une curiosité intacte pour toutes les choses de l’esprit, toujours prêt à se déplacer pour découvrir de nouveaux artistes, à se plonger dans de nouveaux auteurs ou à relire ses classiques (les vacances de Noël l’avaient poussé à se plonger dans Kundera). Il avait commencé à la rubrique livres, avait été proche à ses débuts de Maurice Nadeau – qui lui réservait des piles d’ouvrages à la Quinzaine littéraire – et avait même traduit, au début des années 1980, un monument de la recherche historiographique, La France des terroirs d’Eugen Weber. Passé par Libération et Le Monde, il était depuis plus de 30 ans au Nouvel Observateur (aujourd’hui L’Obs), où il avait couvert une infinité d’expositions et rencontré la fine fleur de la culture mondiale. Il avait collaboré avec Beaux Arts Magazine, il y a une dizaine d’années, à des hors-série sur le marché de l’art, qu’il analysait d’un œil détaché mais pénétrant. Sa sympathie, sa plume, sa finesse nous manqueront. « J’aimerais bien me remettre à traduire de la littérature anglo-saxonne », nous disait-il, en prévision d’une prochaine retraite que l’on ne pouvait imaginer oisive. Et qui ne sera pas.