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Les catalogues de ventes ont moins la cote

Les catalogues de ventes ont moins la cote
Capture d'écran de la vidéo de la maison de vente Actéon présentant le Christ moqué de Cimabue.
© Actéon.

Les maisons de ventes revoient leurs traditionnels catalogues à la baisse. Un phénomène qui n’est pas tant lié aux préoccupations écologiques qu’à la réduction des coûts et au basculement des usages vers le numérique. 

Le 5 décembre 1776, à l’occasion de sa toute première vente, James Christie éditait un petit fascicule d’une quarantaine de pages, où était consigné en caractères serrés et sans image un inventaire des plus hétéroclites. Deux siècles et demi plus tard, la multinationale Christie’s imprime 700 000 catalogues de plusieurs centaines de pages chaque année. Mais fin décembre, la société annonçait qu’elle comptait faire une coupe de 50 % dans ces imprimés en 2020, dans le cadre de son programme pour le développement durable, en parallèle de la réduction des voyages de ses employés ou de l’empreinte écologique de ses bâtiments. Ces considérations vertes occultent en partie l’argument financier qui aura certainement pesé dans la balance. En moyenne, 1 à 3 % de l’estimation des ventes sont consacrés au catalogue. Lors de la dispersion de la collection Bergé-Saint Laurent, en 2009, la somme d’1,6 million d’euros avait été estimée pour les 7 000 exemplaires d’un monumental recueil en cinq volumes et dix kilos. 

Cette politique de réduction est partagée. La jeune maison Fauve Paris avait fait de son « magalogue » l’une de ses marques de fabrique : l’objet, à mi-chemin entre le catalogue et le magazine, comprenait édito, interviews d’experts, propos de collectionneurs, bande dessinée, mots croisés et visuels savamment mis en scène. Chacun était tiré en moyenne à 2 000 exemplaires, avec un coût unitaire de 5 à 7 euros, soit une enveloppe globale de 150 000 euros par an. C’est le poids de cette dépense qui a poussé la société à dire adieu à toute forme de catalogue papier en février 2019. « Cette économie mettait la maison en péril. En réalité, le catalogue n’apporte pas d’acheteurs, c’est un outil qui flatte les vendeurs. Mais quand nous avons expliqué notre décision, ils ont compris. À notre étonnement, nous n’avons eu aucune remarque lors de notre première vente sans catalogue », explique Dimitri Joannidès, expert associé de la maison. En salle, la maison fournit des livrets A3, après des essais peu concluants sur iPad, et peut éditer, sur demande du vendeur, quelques exemplaires d’un ouvrage papier. Artcurial, qui édite de 1 600 à 4 000 exemplaires de ses opus, assure quant à elle avoir réduit de moitié ses envois ces dernières années. « Nous envoyons moins mais mieux, nous avons optimisé le ciblage », explique Carine Decroi, directrice marketing. De façon générale, la surabondance d’information et des images d’archive aux textes imposants semblent avoir fait leur temps. « Pour l’ensemble des acteurs du marché, l’information est plus raisonnée. Sauf pour des œuvres muséales, la boulimie qui consistait à produire de véritables livres est passée », poursuit Carine Decroi. 

Migration vers les écrans

Les usages ont évolué. Preuve en est, le succès des ventes online only, 100 % dématérialisées, dont les montants sont modestes, mais qui permettent de recruter des clients peu rompus aux enchères. « Notre porte d’entrée la plus importante est aujourd’hui les ventes online only », souligne Dirk Boll, président de Christie’s Europe, qui met également en avant le changement d’état d’esprit au sein de sa clientèle traditionnelle. « Nos clients recevaient en moyenne deux ouvrages par semaine, auxquels il fallait ajouter ceux de nos concurrents. Un nombre croissant d’entre eux nous ont demandé de les retirer des listes de diffusion. » La maison a constaté que 52 % des lots vendus avaient été attribués à des clients qui ne recevaient pas les catalogues. Malgré une transition numérique lente des acteurs, la consultation des ventes migre vers les différents écrans. La fréquentation du site de Christie’s a ainsi bondi de 20 % en 2019, pour atteindre 12 millions de visiteurs uniques. Dans le même temps, Interenchères enregistrait une hausse de ses ventes live de près de 40 %. Pour le storytelling autour d’une vente, le recours à la vidéo s’est accru, poussé par les réseaux sociaux. En 2015, le film sur la collection d’automobiles Baillon présentée chez Artcurial cumulait ainsi 2,5 millions de vues. Plus récemment, celui consacré à la toile de Cimabue, chez Actéon, produit par la société Artcento, atteignait 28 000 vues. Des temps forts qui s’écrivent aussi sur papier. « Pour les ventes événement, il n’est pas question de supprimer les catalogues, mais les écarts se creusent entre les très beaux ouvrages et le reste. Nous faisons de plus en plus du sur-mesure, la promotion classique et digitale sont complémentaires, détaille Carine Decroi. Quand on veut marquer les esprits on finit toujours par le papier. » Oui, mais du papier désormais raisonné. 

Premières pages du tout premier catalogue de vente jamais édité par Christie's, le 5 décembre 1766 .
Premières pages du tout premier catalogue de vente jamais édité par Christie's, le 5 décembre 1766 .
© Christie's Images Ltd.
Catalogues de la Collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, Christie's Paris, 2009.
Catalogues de la Collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, Christie's Paris, 2009.
© Christie's Images Ltd.
Dimitri Joannides.
Dimitri Joannides.
© FauveParis.
Les anciens magalogues de Fauve Paris, format mixte que la maison de vente a cessé d'éditer.
Les anciens magalogues de Fauve Paris, format mixte que la maison de vente a cessé d'éditer.
© FauveParis.
Capture d'écran de la vidéo d'Artcurial présentant la collection Baillon.
Capture d'écran de la vidéo d'Artcurial présentant la collection Baillon.
© Artcurial.
Catalogues de la maison de vente Artcurial.
Catalogues de la maison de vente Artcurial.
© Artcurial.

Article issu de l'édition N°1872