Soucieux de louer ses espaces pour des séminaires, des défilés ou des mariages, le Palais de Tokyo a trouvé les mots forts pour définir son ambition. « Effervescent, précurseur et festif, le Palais de Tokyo est le lieu idéal de vos événements », est-il écrit sur le site Internet. Et de poursuivre : « Habité par les artistes et ouvert de midi à minuit à des visiteurs toujours plus enthousiastes, le Palais a inventé un modèle original, où l’émergence rencontre la mode, la créativité et les tendances. » Cette avantageuse présentation ne manquera pas de faire sourire le public encore captif de ce lieu habité de souvenirs, qui néanmoins ressent depuis quelque temps un sérieux désamour. Est-il permis de se demander à quand remonte notre dernière émotion dans cette cathédrale de béton ?
Le programme artistique du premier semestre 2020, tout juste publié sous le libellé « Fragmenter le monde », ravivera-t-il la flamme ? On a d’abord envie d’y croire : une exposition conçue avec le Mathaf de Doha (Qatar) réunissant des artistes passionnants comme John Akomfrah, Amal Kenawy, Raqs Media Collective et Younès Rahmoun, un focus précieux sur une artiste singulière, Libia Posada, résidente du prix SAM, sans oublier une exposition sur la scène africaine dont l’intitulé « Ubuntu » – « Je suis parce que nous sommes » en bantou – résonne avec l’air du temps collectif et fédérateur. Tout cela est prometteur.
Les Cent-Jours d’Emma Lavigne, la nouvelle présidente, auraient donc été mis à profit pour relancer une machine qui commençait à tourner à vide ? À bien y regarder pourtant, le doute nous gagne à nouveau car, dans la continuité avec le passé, la saison qui s’annonce au Palais de Tokyo sera directement inspirée par les partenaires – par exemple un prix des Amis a-t-il vraiment encore une raison d'être ? – plutôt que par l’équipe de la maison. Sans insulter l’avenir, convenons que le centre d’art public abandonnera encore, de facto, la responsabilité de choisir ce qui est « effervescent, précurseur et festif ». À quoi sert de désigner une direction, légitime pour recruter de nouveaux commissaires, si ce n’est pour affirmer une pensée autonome, singulière, originale. Bref, une identité, indépendante de la contrainte d’occuper 22 000 m2.
Emma Lavigne, qui a posé sa marque avec brio au Centre Pompidou-Metz, réclame du temps et de l’empathie. Elle-même fait preuve de cette bienveillance à l’égard des Amis du Palais de Tokyo, faisant mine d’ignorer que le renouvellement du bureau et l’élection du président se sont soldés par la victoire des représentants du canal historique contre des nouvelles têtes. Ces outsiders prétendaient imposer l’ouverture du Palais vers d’autres sphères de la société – la quête de « l’enthousiasme », difficile mais indispensable, devra se passer d’eux.