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Le musée bien dans ses sneakers

Le musée bien dans ses sneakers
Vue de l'exposition « Sneaker Collab » jusqu'au 26 janvier 2020 au Mudac Lausanne.
© Tonatiuh Ambrosetti.

Il y a de tout dans les musées. Ces derniers se mettent, en plus, à la recherche de nouveaux publics. Jeunes, évidemment. Les « millenials » et la « génération Y » sont devenus des obsessions pour la direction de certains lieux. Il leur faut « faire du chiffre » afin de ne pas décevoir les politiques. Il s'agit aussi de manière noble d'envisager l'avenir. Que deviendront ces institutions quand leur public actuel aura disparu ? Où finiront leurs collections ? À la poubelle ? D'où une quête pour s'adapter aux us et coutumes des 15-40 ans. Avec le mot « millenial », la génération X ratisse en effet large chez ses cadets. Les Y sont parfois nés en 1980.

C'est de manière décontractée que le Mudac lausannois propose une exposition sur les sneakers. Il faut dire que l'ancien Musée des arts décoratifs, qui a changé de nom en 2000 lors de son installation dans une grande maison près de la cathédrale, a modifié son caractère à ce moment. Jusque là, son ancienne directrice Rosemarie Lippuner avait présenté de la céramique, du papier ou des meubles. Chantal Prod'Hom, qui lui a succédé, a préféré parler de société. D'où plusieurs expositions sur la mode, souvent « curatées » par Magali Moulinier. Je me souviens en particulier de celles sur le camouflage ou les extensions du corps.

« Sneaker Collab » se situe ainsi dans une foulée. La manifestation correspond par ailleurs à un courant actuel. Le Victoria & Albert Museum de Londres vit depuis des années de la mode. Il expose la couturière Mary Quant en ce moment, et avait monté en 2018 « Shoes, Pleasure and Pain ». Dans cette présentation généraliste, il y avait deux collections prêtées par des fétichistes. L'un était un monsieur s'offrant régulièrement une paire féminine pour sa seule contemplation. L'autre un amateur de sneakers, dont les pièces lui semblaient si précieuses qu'il ne les mettait jamais. Nous revoilà à la case départ.

Nouvelle culture

L'exposition actuelle n'est pas née du seul désir d'une équipe muséale. Elle se situe dans le programme « Lausanne en jeux ! ». Le prétexte reste donc sportif, même si la sneaker a depuis longtemps quitté les terrains et les stades pour se promener dans la rue. Cette hybridation entre le luxe et le streetwear, comme on dit en bon français, a défilé chez Chanel dès 1983 sous l'impulsion de Karl Lagerfeld. Gucci a suivi l'année d'après. Notez qu'il y a eu des réticences, Prada ne s'y est mis qu'en 1996. Depuis, c'est la déferlante. Elle correspond aux changements de mains de certaines maisons, jusque là traditionnelles. Virgil Abloh est entré chez Vuitton. Kim Jones chez Dior. Hedi Slimane chez Céline. Demna Gvasalia chez Balenciaga. « Or, ces gens vivent cette nouvelle culture avec passion », ai-je lu quelque part sur un mur du Mudac.

Que la culture puisse commencer par les pieds heurte sans doute les vieilles générations. Mais c'est un fait. Pensez au rôle que peut jouer le rêve de Louboutin jusque dans les banlieues. La chaussure fait d'ailleurs fantasmer depuis que Charles Perrault a écrit Cendrillon. Les sneakers vues à Lausanne n'ont ainsi en général plus rien d'utilitaire. Elles sont bariolées et montées sur d'épaisses semelles toujours plus débordantes. Je me suis dit à un moment qu'il ne leur manquait plus que des pare-chocs chromés, à l'instar des Cadillac d'antan. Eh bien, il y en a parfois !

L'exposition, qui sent le caoutchouc neuf, est innovante. Elle garde cependant pour moi le défaut de rester restreinte. Un seul étage du Mudac accordé comme une concession, alors qu'il eut fallu les deux. Le commissaire Mario Constantini, qui a travaillé ici avec l'association Swisssneaks, aurait du coup pu développer certains thèmes, à peine effleurés. Et cela même s'il y a bien sûr de l'espace pour les collaborations avec des personnalités aussi différentes qu'Anna Wintour de Vogue, Kanye West, Damien Hirst ou Rihanna. L'évolution des techniques se voit aussi traitée.

Le marché aurait ainsi mérité une vraie place. Les modèles de Balenciaga, parmi les plus mastocs et les plus tapageurs, coûtent dans les 700 euros sur le Net. Je me demande combien en boutique. On se situe à des années lumière de baskets de base. Il eut aussi été bien de traiter du collectionnisme. Tous les « millenials » ne sont pas pauvres. Ils ont leurs Jocondes. Une paire de Moonshoes de 1972, jamais portée, a obtenu 437 500 dollars en juillet 2019. Dans une vente en ligne, bien sûr. On est moderne ou on ne l'est pas.

Mudac Lausanne.
Mudac Lausanne.
Photo Archipat.
Vue de l'exposition « Sneaker Collab »  jusqu'au 26 janvier 2020 au Mudac Lausanne.
Vue de l'exposition « Sneaker Collab » jusqu'au 26 janvier 2020 au Mudac Lausanne.
© Tonatiuh Ambrosetti.
Vue de l'exposition « Sneaker Collab »  jusqu'au 26 janvier 2020 au Mudac Lausanne.
Vue de l'exposition « Sneaker Collab » jusqu'au 26 janvier 2020 au Mudac Lausanne.
© Tonatiuh Ambrosetti.

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