Un an après la remise du rapport Sarr-Savoye sur la restitution des œuvres d’art volées aux peuples africains, on croyait le sujet classé. Un concept typique de la présidence « en même temps » – la « circulation » – avait surgi pour calmer les uns et les autres, ici et là-bas. Et repousser un débat politiquement casse-gueule et juridiquement complexe. Mais un mot creux et toute l’habileté du monde ne suffisent pas à cautériser des plaies toujours à vif, côté africain, ni à faire taire les défenseurs de l’ordre ancien dans la patrie des Lumières.
Ainsi de Didier Rykner, directeur de l’excellente Tribune de l’Art, qui reproche aux Africains d’être nationalistes et non universalistes. C’était le 26 novembre, à l’occasion d’une table ronde organisée par la Compagnie nationale des experts. Les racistes, ce sont les autres – quelle bonne idée ! La preuve : le Bénin réclame des œuvres du Bénin au lieu d’acheter celles du Japon... Ainsi, dans la bouche d’un défenseur du patrimoine, un État qui chercherait à écrire son histoire et à restaurer la fierté mutilée de son peuple – les œuvres qui lui ont été pillées ou achetées à vil prix – serait suspect d’anti-universalisme. Comme si l’universel ne se jouait qu’en Occident. Comme si ces œuvres, conservées au Sénégal ou exposées au Bénin plutôt qu’à Paris ou à Lausanne, allaient instantanément perdre leur universalité ! Tant de mauvaise foi surprend, pour ne pas dire davantage.
Parce qu’il a les moyens d’aller au bout de ses idées, le financier George Soros a choisi l’action plutôt que la palabre. Sortant des débats à couteaux tirés, il a décidé de débloquer près de 14 millions d’euros pour développer l’expertise des directeurs de musées en Afrique sur la question des restitutions. Via son réseau de fondations, Open Society, il entend soutenir des associations, mettre en place des partenariats et des coopérations. En matière d’histoire, en effet, la précipitation au nom des bons sentiments ne vaut pas mieux que le conservatisme rétrograde : selon l’historien Francis Simonis, le sabre restitué au Sénégal, le 17 novembre, n’aurait jamais appartenu à son supposé propriétaire originel, El Hadj Oumar Tall, fondateur de l’empire toucouleur qui s’étendait de la Guinée au Mali... L’expertise, voilà sans doute la meilleure réponse aux postures idéologiques, qui ne sont pas le monopole des Occidentaux.