Le Quotidien de l'Art

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La Biennale de Lubumbashi, miracle congolais

La Biennale de Lubumbashi, miracle congolais
Performance de Dorine Mokha le 24 octobre 2019 à la Biennale de Lubumbashi.
Photo Gabriele Salmi/© 2019 Biennale de Lubumbashi.

Portée par un souffle collectif et une endurance à toute épreuve, l’association Picha organise jusqu’au 24 novembre la Biennale de Lubumbashi, en République démocratique du Congo. Un modèle d’opération « artist-run » dont beaucoup d’organisations en Afrique gagneraient à s’inspirer. 

« Il faut la bienveillance de tout un village pour créer un tel événement ! » Commissaire de cette nouvelle édition de la Biennale de Lubumbashi, Sandrine Colard garde son lumineux sourire comme son calme, même face à l’adversité. « Il y a beaucoup d’improvisation, admet-elle. Les choses sortent au fur et à mesure. » Il lui a pourtant fallu des trésors de patience et de persévérance pour mener à bien ce projet. Car en République démocratique du Congo, tout est complexe, des coupures d’électricité à la corruption généralisée. Le moindre tampon protecteur des autorités locales ou le moindre visa exigent patience et palabres. « Tout ceci est un miracle, abonde l’artiste suisse Uriel Orlow. Deux jours avant le vernissage on craignait qu’il n’y ait pas d’exposition. L’effort de tous a été herculéen. » L’artiste congolais Sammy Baloji, qui, depuis 2008 porte cette biennale à bout de bras, le reconnaît, « la ville est tellement difficile que le seul moyen de s’en sortir, c’est le collectif ». 

Tout est parti « d’une nécessité », précise-t-il. De retour des Rencontres de Bamako, en 2007, le jeune photographe lance l’association Picha avec une idée : monter une biennale. Dans le contexte congolais, l’aventure n’a rien d’un caprice ou d’une opération touristico-économique. C’est « un acte de résistance ». Et une urgence aussi tant, selon l’artiste Mega Mingiedi, « l’histoire du Congo est mal racontée ». 

Exister par le regard extérieur

Lubumbashi a longtemps vécu au rythme de la Gécamines, la société minière qui exploite – mais ne redistribue pas... – les richesses du sous-sol depuis la colonisation. La disposition des quartiers n’a pas bougé depuis l’occupation belge. « Hier les gens considéraient la Gécamines comme papa maman, ils attendaient tout de l’usine. Mais demain, quelles sont les alternatives, les perspectives ? », s’interroge le génial performeur congolais Dorine Mokha. Membre de l’ONG Alba et de l’équipe de Picha, Gabriele Salmi abonde : « Les ONG qui interviennent ici aident les derniers, rarement les premiers, or il faut donner une chance aux talents de ce pays pour qu’ils sachent qu’ils peuvent évoluer, que leur seule issue n’est pas de devenir prêtres ! »

Sans école d’art digne de ce nom ni musée, une scène artistique petite mais d’une étonnante vitalité s’est pourtant développée au Congo. « Notre scène est riche, mais très peu connectée », remarque l’artiste congolais Sinzo Aanza. « On a tout ici, et pourtant on ne cultive pas l’imagination », ajoute Sammy Baloji. Les artistes congolais les plus connus sont bien moins exposés à domicile qu’à l’étranger. « Notre manque de visibilité dans notre pays est problématique, commente le peintre kinois Pathy Tshindele. C’est comme si on n’existait qu’à travers le regard extérieur, sans la moindre trace ici. »

Économie de survie

Pour sa première édition en 2008, la Biennale de Lubumbashi réussit à lever 90 000 dollars auprès de l’Institut français, partenaire fidèle depuis lors, et d’un mécène local, George Forrest. L’événement réunit alors une quinzaine d’amis de Sammy Baloji, principalement des photographes pour « montrer ce qu’est une photo d’auteur par rapport à un cliché de reportage ou de mariage ». Pas simple pour autant de pérenniser l’événement. Le manque d’argent contraint de reporter d’une année l’édition prévue en 2012. En 2015, une crise interne fait vaciller l’association : deux membres de l’équipe claquent la porte. Pas question pour autant de baisser les bras. Picha recrute de nouvelles forces vives et continue de monter des ateliers qui, toute l’année, permettent aux artistes congolais de rencontrer leurs pairs étrangers. Malgré la bonne volonté collective, et un budget cette année d’environ 300 000 dollars (comprenant les ateliers Picha), la Biennale fonctionne « dans une économie de survie », souligne Sammy Baloji. 

Malgré tout, cette édition est aussi époustouflante de qualité que variée. De talent, le Congo n’en manque pas, à l’instar de Dorine Mokha qui, le soir du vernissage, a littéralement hypnotisé son public en lui contant une heure durant une brève histoire du Congo. « La vie politique du Congo est un théâtre dont on ne connaît pas le metteur en scène », confie ce jeune homme au talent rare. Autres pépites de l’exposition, le film Nuit debout de Nelson Makengo, autour de la résilience nocturne des Kinois malgré les délestages et la criminalité galopante, Machini, petit bijou d’animation réalisé par Frank Mukunday et Tétshim autour de la question de la pollution qui ronge le Katanga ou encore les photos de Georges Senga parti à la recherche des traces d’anciens cinémas.

Picha a dû compter cette année avec la concurrence d’une toute nouvelle biennale lancée concomitamment à Kinshasa. « Ce sont deux réalités différentes, relativise Sammy Baloji, mais ce qui est problématique c’est d’organiser cette autre biennale au même moment, sachant que personne ne pourra aller aux deux endroits, le prix du billet entre Kinshasa et Lubumbashi étant d’environ 600 dollars... » De son côté, Sinzo Aanza prévoit de relancer en février 2020 la biennale Yango (« c’est ça » en lingala) initiée en 2014 à Kinshasa par feu le photographe Kiripi Katembo. Avec l’idée de ne pas empiéter sur le calendrier de la Biennale de Lubumbashi, voire travailler à l’avenir de concert car « seul on n’est pas audible ».

Frank Mukunday et Tétshim, Machini (still), 2019, 10 min.
Frank Mukunday et Tétshim, Machini (still), 2019, 10 min.
© Frank Mukunday et Tétshim/© 2019 Biennale de Lubumbashi.
Georges Senga.
Georges Senga.
Photo Aleksandar Topalovic.
Sammy Baloji.
Sammy Baloji.
Photo Sophie Nuytten/Courtesy et Galerie Imane Farès Paris.
Format, projet de Georges Senga présenté à la Biennale Lubumbashi 2019.
Format, projet de Georges Senga présenté à la Biennale Lubumbashi 2019.
© Georges Senga/2019 Biennale de Lubumbashi.
Pathy Tshindele.
Pathy Tshindele.
Photo Raphael Kalume.
Sandrine Colard.
Sandrine Colard.
© Julien De Bock.
Dorine Mokha.
Dorine Mokha.
Photo Art Mustache.

Article issu de l'édition N°1832