« The place to be at the right moment » ? Audrey Bossuyt, co-directrice de la galerie luxembourgeoise Zidoun & Bossuyt, en est convaincue ! « Je vois le potentiel d'évolution de Luxembourg comme celui de Bruxelles il y a 20 ans, lorsque je travaillais à la galerie Xavier Hufkens, avec en particulier de gros collectionneurs français qui commencent à s'y installer. Personne ne connaissait vraiment Bruxelles à l'époque, ce qui permettait de ne pas apparaître comme des concurrents et de négocier avec des artistes importants comme Roni Horn qui sont devenus depuis des artistes intouchables. » Mais la configuration du pays est cependant différente, le Luxembourg ayant une place à part en Europe avec une croissance à presque 5% (alors que les estimations pour la France en 2019 sont autour de 1,4%), une communauté internationale représentant 47,4% de la population totale (le taux d'étrangers dans la population active étant de 71% selon les derniers chiffres du gouvernement du Grand-duché). L’économie est portée par le secteur bancaire avec une diversification annoncée autour de l'innovation et du digital, la présence du port franc, d'un aéroport international où opère Cargolux, une des plus grosses compagnies cargo. Comme chez le voisin belge, une grande tradition de collection s'est structurée dans les années 1980, aussi bien au niveau individuel que dans les banques, les fonds d'investissements ou les entreprises, à l'image de la société de gestion d'actifs Fidelity qui compte aujourd'hui plus de 3 000 œuvres d'art contemporain de plus de 500 artistes. Des galeries historiques ont accompagné la constitution de collections importantes : Kutter, Beaumontpublic (qui représentait des artistes comme Richter, Baselitz, Immendorf ou Polke) ou encore Hessler qui a largement promu Zao Wou-ki. L'ouverture du Casino Luxembourg en 1996 et du Mudam en 2006 ont stimulé l'art contemporain et renouvelé l'intérêt des collectionneurs qui étaient plutôt tournés vers l'art moderne, ce qu'illustre le parcours de la galerie Clairefontaine. Créée en 1988 par Marita Ruiter, elle a commencé avec des peintres comme Oskar Kokoschka, Gustav Klimt et Egon Schiele pour ouvrir un second espace en 1997 tourné vers la photographie et la création contemporaine.
Une nouvelle vague de galeries s'est imposée depuis une quinzaine d'années. Ses acteurs phares en sont Zidoun & Bossuyt, Ceysson & Bénétière et Nosbaum Reding, chacun défendant une ligne artistique propre, de l'art américain à l'art allemand et luxembourgeois, en passant par la création française. Les collectionneurs luxembourgeois sont « curieux de découvrir de jeunes artistes et de sécuriser leur collection avec des artistes patrimoniaux », analyse Loïc Bénétière de la galerie Ceysson & Bénétière. Celui-ci s'enthousiasme encore du succès commercial et d'estime de l'exposition Bernar Venet inaugurée le 25 mai dernier, « où étaient proposées des pièces majeures dont les prix étaient compris entre 5 000 et 720 000 euros. Le marché est fidèle aux galeries qui développent des initiatives locales tout en étant reconnaissant dès lors qu'on organise des expositions majeures d'artistes internationaux. » D'où la réussite chez Zidoun & Bossuyt de celles des historiques Basquiat en 2016, Dubuffet en 2017 et Keith Haring en 2019. Audrey Bossuyt poursuit : « Nous sommes sur une place financière, il y a donc beaucoup de gens qui connaissent très bien les marchés boursiers et immobiliers ». Lesquels sont sensibles à la dimension « art et finance » développée par Deloitte en particulier. Entre passion et investissement, toutes les conditions semblent réunies pour le décollage prédit par Audrey Bossuyt...