En janvier prochain, Frida Kahlo, Dorothea Taninng, Dora Maar et une poignée d’autres artistes défileront chez Christie’s avenue Matignon pour une exposition consacrée aux femmes surréalistes. Et à partir du premier semestre, les enseignes de Paris, Londres, New York et Hong Kong présenteront de façon permanente des œuvres en vente sans enchères. « L’accrochage tournera, indépendamment du calendrier des vacations. Une façon de montrer aux clients qu’il y a constamment des pièces à acheter chez nous, et de mettre l’accent sur les ventes privées », annonce Adrien Meyer, directeur monde des ventes privées depuis le printemps dernier.
C’est l’une des manifestations de la montée en puissance des ventes à prix fixes chez les auctioneers, qu’elles se déroulent de gré à gré dans leurs salons feutrés ou en ligne en quelques clics. Le phénomène a commencé par la multiplication des transactions privées il y a une dizaine d’années, appuyé dans un second temps par l’organisation d’expositions-ventes. Tandis que la rentabilité des maisons de ventes est relativement faible et que le chiffre d’affaire lié aux commissions sur les enchères stagne, malgré la hausse des frais acheteurs, cette activité décolle, avec des fluctuations. Un relais de croissance d’autant plus intéressant que « l’activité est plus profitable : il n’y a pas de catalogue, d’assurance, de marketing, de logistique… », souligne Adrien Meyer. En 2018, ces ventes de gré à gré ont atteint 643,3 millions de dollars chez Christie’s, et dépassé le milliard de dollars chez Sotheby’s, une hausse de 37 % sur un an, pour s’établir à 15 % du total des ventes de la maison. Pour Adrien Meyer, « c’est une autre façon de servir les clients », un outil clé pour élargir la palette de services proposés, qui permet parfois de remporter le deal d’une collection. « Aujourd’hui, c’est nous qui sollicitons nos clients pour leur proposer de passer par les ventes privées. Notre ambition est qu’un jour, ce soient eux qui se tournent vers nous car ils cherchent à acheter telle ou telle œuvre, ce qui implique un important changement de culture », poursuit le spécialiste.
Nouvelles plates-bandes
Aujourd’hui, cette extension des prérogatives des maisons vers les ventes sans enchères a également lieu en ligne, généralement une façon de s’étendre vers le lifestyle et les marchés à plus petits prix. Depuis décembre 2016, et la création de Drouot Digital, Drouot a mis la main sur Expertissim, un site de vente en ligne d’objets d’art à prix fixe, qui totalisait alors 80 000 membres. Depuis, aucune synergie n’a été mise en place avec l’hôtel des ventes et la plateforme fonctionne au ralenti. Simple question de priorité, affirme la direction qui a mis l’accent sur le développement du site d’enchères drouot.com. Mais la relance du site devrait être effective au premier semestre 2020. « Cette plateforme "B to C" sera une façon de s’ouvrir à une autre clientèle, qui n’est pas forcément familière des enchères et ne souhaite pas attendre avant d’acheter un objet. C’est aussi un nouvel outil que nous proposerons à tous nos opérateurs de ventes », explique Olivier Lange, directeur de Drouot. Tous les lots seront proposés par des professionnels, et le site, toujours sous la marque Expertissim, sera désormais accessible via celui de Drouot. « Il sera réservé aux objets moins chers que ceux proposés en ventes publiques, dont le cours et la cote sont bien établis : bijoux, photo, mobilier… »
S’appuyant sur le rachat de la start-up Viyet quelques mois auparavant, Sotheby’s a lancé de son côté Sotheby’s Home en octobre 2018, une marketplace consacrée aux pièces de design, sourcées auprès de particuliers mais aussi de galeries. Une expérience de ventes sans enchères couronnée de succès : en quelques mois, la plateforme doublait son chiffre d’affaire mensuel. Chez Christie’s, l’achat immédiat online sera testé dans les mois à venir. Peut-on alors imaginer que les ventes en ligne basculent de plus en plus vers les prix fixes ? « C’est probable, répond Thomas De Lattre, conseiller indépendant en stratégies digitales. Elles offrent une façon de lever les freins psychologiques liés à la pratique plus experte des enchères, la transparence des prix permet notamment aux non-initiés de passer plus facilement le cap. » De façon significative, eBay, créé en 1995 comme un site d’enchères en ligne, fonctionne aujourd’hui à 80 % avec des ventes à prix fixe. Quant à Sotheby’s Wine, la branche vin de la maison, elle a passé un autre cap. Elle propose aux clients, en parallèle des vacations physiques et online only, des ventes immédiates sur son site et même dans des boutiques physiques à Hong Kong et New York. « Nous cherchons tout simplement à répondre à la demande insatiable pour les vins. Et nous étendons aujourd’hui notre proposition retail aux spiritueux. Au premier trimestre 2019, nous avons noté une croissance de 21 % dans nos deux lieux de ventes », souligne Frédéric Guyot du Repaire, directeur de Sotheby’s Wine. En 2018, c’est dans la boutique de Hong Kong qu’un client a acheté sept Mathusalem de Romanée-Conti pour 1,5 million de dollars. Après avoir piétiné les plate-bandes des galeries d’art, des art advisors et des courtiers, les maisons se voient aujourd'hui cavistes de luxe...