Longtemps, la grille urbaine de New York a connu une croissance verticale. La ville se développe désormais à l’horizontale. Non seulement en direction des quartiers situés de l’autre côté de l'Hudson et de l’East River, mais aussi en cannibalisant les derniers terrains vagues et les bâtiments devenus inutiles après le dernier recalibrage économique, quand New York est devenue un alliage de services et divertissements à la sauce turbocapitaliste. La nouvelle extension du MoMA, qui a ouvert ses portes le 21 octobre, a fait ce pari avec le rachat du bâtiment et du terrain vague qui jouxtaient le musée, remplacés par une tour de Jean Nouvel de plus de 300 mètres de haut, dont le MoMA occupe les trois premiers étages. « Les extensions sont inévitables pour les musées d’art contemporain, dont la collection s’élargit en permanence », répondait l’architecte Elizabeth Diller, responsable d’une intervention qui a couté 450 millions de dollars, pour justifier cette fièvre expansionniste.
Pas d'alternative
Les choix de l’architecte ont été controversés, avant de convaincre par la finesse et la sobriété que dégage le résultat. Particulièrement, la démolition du Museum of Folk Art, œuvre des architectes Tod Williams et Billie Tsien datant de 2001, a paru surprenante, venant d’une architecte si respectueuse de l’environnement, dans le sens urbanistique comme écologique. Sur la célèbre High Line, Diller avait fait construire des parterres pour préserver les plantes sauvages qui avaient poussé sur la ligne de train désaffectée où s’érige sa promenade élevée. Ici, en revanche, l’architecte assure n’avoir pas eu d’alternative pour accomplir la mission qu’on lui avait confiée : ajouter 3 600 m2 d’espaces d’exposition, soit un tiers du total. Bâtir l’extension sur un autre site n’a jamais été envisagé. « L’identité du MoMA se trouve dans cette parcelle de Manhattan depuis les années 1930. C’est extraordinaire de pouvoir bâtir sur l’histoire préexistante. On aurait pu construire l’extension loin de ce block, créant une nouvelle antenne comme le PS1 dans le Queens, mais il me semble important de le faire ici, avec une station de métro au coin de la rue et à l’endroit précis où se trouve le cœur de New York », affirme l’architecte.
Pour des raisons d’attrait du public et même de storytelling, tous les musées veulent rester à Manhattan, même quand l’espace disponible se fait rare. Ce qui les oblige, de plus en plus souvent, à dévorer ses alentours. L’agence OMA prépare l’extension du New Museum, qui a acquis le bâtiment adjacent, un ancien fournisseur de restaurants sur Bowery, pour y ériger une nouvelle tour asymétrique signée Rem Koolhaas. L’architecte avait prévu de respecter l’immeuble, comme ce fut le cas pour la réhabilitation du bâtiment parisien où se trouve Lafayette Anticipations. Il a fini par y renoncer : les étages allaient être supprimés pour gagner en hauteur et la façade, pas particulièrement intéressante, était tout ce qui pouvait être sauvé. Le musée détruit ainsi un patrimoine architectural à l’air anodin, mais qui évoquait le passé peu glorieux du Lower East Side avant son improbable métamorphose en quartier branché.
Un quartier plein à craquer
À divers égards, le projet rappelle l’une des grandes déceptions dans la carrière de Koolhaas : le plan d’extension inabouti du Whitney Museum, enterré en 2003 à cause de son envergure. Face aux limitations urbanistiques et immobilières – impossible de démolir un pâté de maisons entier dans le très huppé Upper East Side –, il avait déjà prévu de construire une énorme tour émergeant derrière les façades des bâtiments classés de Madison Avenue. Le musée a finalement fait le choix d’abandonner la forteresse en béton de Marcel Breuer, qu'il a occupé de 1966 à 2015, et de s’installer dans un nouveau bâtiment de Renzo Piano dans le Meatpacking, près des galeries d’art contemporain. Pour sa part, l’architecte Annabelle Selldorf s’apprête à transformer le siège de la Frick Collection, qui expose la collection du riche industriel Henry C. Frick dans son ancienne résidence de Central Park, pour y ajouter 2 500 m2 distribués sur trois nouvelles structures bâties sur l’actuel édifice. La préférence du musée était le rachat du terrain adjacent pour y ériger une annexe, mais seuls le rez-de-chaussée et le premier étage étaient à vendre, et l’offre de la Frick Collection a été rejetée à deux reprises. Pas d’inquiétude : si on ne peut pas construire à côté, on peut toujours construire au-dessus.
La fréquence de ces extensions et la transformation urbaine qui les accompagne inquiètent les riverains, là où il en reste. Dans le cas du MoMA, l'agrandissement intervient seulement quinze ans après celui de Yoshio Taniguchi, en 2004. À ce rythme, le musée pourrait finir par avaler, un jour, l’ensemble du convoité block new-yorkais qu’il occupe. « Nous ne pouvons pas aller plus loin. Il n’y a tout simplement plus de place », explique Elizabeth Diller, sifflant la fin de la récré. À ses côtés, son mari et associé, l’architecte Ricardo Scofidio, ricane : « On ne sait jamais… ».