Les professionnel.le.s de l’histoire de l’art mobilisent au quotidien des ressources numérisées, notamment grâce aux politiques de numérisation des bibliothèques de recherche comme celle de l’Inha. Depuis 2006, 22 713 documents ont été numérisés et versés sur une bibliothèque numérique dédiée (bibliotheque-numerique.inha.fr). Le Journal de Delacroix, la correspondance d’Alfred Bruyas, les estampes de Toulouse-Lautrec, le Cahier pour Aline de Gauguin, les plans dessinés du château de Versailles, les photographies d’Atget ou encore le livre du Sacre de Louis XV : autant de trésors accessibles à tou.te.s et librement réutilisables, la bibliothèque de l’Inha ayant adopté la licence ouverte, qui permet à chacun.e de télécharger et de republier documents et images gratuitement, y compris à des fins commerciales.
Nous pourrions multiplier les exemples de bibliothèques, catalogues, plateformes, bases de données mobilisées par les historien.ne.s de l’art – Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF, mise en ligne en 1997, ou Joconde, la base de données des collections des musées français, accessible depuis 1995. Mais la politique numérique de l’Inha ne saurait se résumer à la mise en ligne des collections patrimoniales conservées par sa bibliothèque. L’institution œuvre également à la publication de données scientifiques, issues de ses programmes de recherche, sous forme de bases de données. L’une des plus anciennes – et des plus consultées – est le RETIF : le Répertoire des tableaux italiens dans les collections françaises, qui recense et localise plus de 13000 peintures sur le territoire national. Il s’agit ici non seulement de créer un ensemble documentaire structuré pour appuyer un programme de recherche mais ensuite, et surtout, de mettre à disposition ces données pour la communauté toute entière.
Concentrer des données
Si chacune des 43 bases produit un ensemble ayant sa propre cohérence, elles ne demeurent pas isolées : elles sont rassemblées et connectées entre elles au sein d’une métabase, AGORHA (agorha.inha.fr), aujourd’hui riche de 210 000 notices, dont 50 000 sont illustrées d’images. Les notices s’organisent par types (œuvres, personnes et organismes, références bibliographiques, fonds d'archives, événements et collections) qui permettent d’effectuer des recherches sur différents corpus. On y trouve ainsi des « notices œuvres » (par exemple celles détaillant les peintures et les sculptures envoyées de Rome à Paris entre 1804 et 1914, dont deux tiers ont pu être localisées dans des collections publiques ou privées), des « notices personne » (exemple : le dictionnaire des élèves architectes de l’École des Beaux-Arts de Paris), ou encore des « notices événements » (ainsi le répertoire des ventes d’antiques en France au XIXe siècle, qui nous renseigne sur les œuvres, les acheteurs et les vendeurs, éclaire le parcours des objets, l'évolution du marché et l'histoire de la formation et de la dispersion des collections). L’intérêt premier, pour les chercheuses et chercheurs, est de concentrer, en un seul endroit et de façon systématique, des données souvent éparpillées entre différents centres d’archives et institutions, et de les relier entre elles : d’une notice d’artiste, on passera à celles de ses œuvres, elles-mêmes liées à des notices événements (présentation dans une exposition ou devant un jury).
Certaines de ces bases rassemblent un grand nombre de données – 18 141 notices pour le dictionnaire des élèves architectes. Une telle masse ouvre de nouvelles perspectives, notamment celle d’une approche globale d’un corpus de recherche : interrogation croisées, statistiques permettant de saisir des motifs récurrents, de dégager des tendances, des constantes, ou, au contraire d’isoler des cas atypiques. L’historien.ne de l’art, sans cesse, peut naviguer de cette lecture globale à une lecture plus traditionnelle, qui consiste à analyser individuellement la source.
Se former aux outils numériques
Concevoir et mettre en ligne de telles bases de données exige des compétences informatiques particulières. Au sein de l’Inha, le rôle de la cellule d’ingénierie documentaire (la CID) est précisément d’accompagner les chercheuses et chercheurs dans la conception de leur base de données – la modélisation – et d’assurer la mise en œuvre technique. Cet accompagnement se double d’une réflexion sur les nouveaux modes d’accès aux données scientifiques, par le numérique. La CID expérimente des solutions innovantes d’exploitation des contenus issus de sa base de données. Ainsi, le RETIF a fait l’objet d’un projet de cartographie interactive (georetif.inha.fr), qui permet de localiser les œuvres dans les musées du territoire. Plus récemment, dans le cadre du projet d’édition numérique des dessins d’objets antiques du dessinateur français Jean-Baptiste Muret (1795-1866), a été mis en place un tableau de bord dynamique, qui permet de visualiser, sous forme d’infographie interactive, l’avancement du travail de recherche : nombre d’objets ont été identifiés, légendés, géolocalisés (digitalmuret.hypotheses.org/workinprogress).
Pour les jeunes chercheuses et chercheurs de l’Inha, notamment doctorant.e.s, collaborer à ces bases offre de nombreuses opportunités : celle de se confronter à des problématiques documentaires encore rarement abordées dans les cursus universitaires d’histoire de l’art, mais aussi de se former à des outils numériques pointus. Autant de compétences désormais fortement attendues sur le marché de l’emploi, et immédiatement applicables dans nos propres travaux de recherche. Ainsi, nombre des chargé.e.s d’études et de recherche de l’Inha développent, dans le cadre de leur thèse, des bases de données, cartographies et visualisations.
L’Inha accompagne ces initiatives individuelles par une offre de formation au numérique ouvertes à tou.te.s. Au début de chaque année universitaire, est proposée une journée intitulée « kit de survie en milieu numérique pour étudiant en SHS » en partenariat avec différentes institutions. Les « Lundis du numérique » organisés une fois par mois depuis 2014, en soirée, permettent aussi d’entendre un spécialiste aborder différents sujets liés aux questions numériques dans les sciences humaines et sociales et plus particulièrement celles liées à l’image et au patrimoine. Enfin, InVisu, laboratoire mixte CNRS/Inha offre, depuis 2019, des bourses de résidence pour accompagner chercheuses et chercheurs à la mise en ligne des données issues de leurs travaux. Dans cette volonté de rendre accessible la recherche en histoire de l’art, notamment par le biais des outils numériques, l’Inha capte et diffuse depuis 2016 la plupart de ses évènements sur sa chaîne Youtube.
Johanna Daniel
Diplômée de l’École du Louvre et de l’École nationale des Chartes, Johanna Daniel est chargée d’étude et de recherche à l’Inha depuis octobre 2019, où elle collabore à la cellule d'ingénierie documentaire. Ses recherches portent sur l’estampe, la culture visuelle et l’image topographique. Elle prépare actuellement une thèse intitulée « La vue d’optique, une production européenne d’estampes semi-fines, 1740-1830 » sous la direction de Sophie Raux (Université Lyon II Lumière) et Emmanuel Château (Université de Montréal).
Antoine Courtin
Après un master Nouvelles technologies appliquées aux sciences historiques à l’École nationale des Chartes en 2010, Antoine Courtin fut successivement chef de projet, responsable R&D dans une start-up puis ingénieur d’étude dans le labex Les Passés dans le présent. Il est actuellement responsable de la cellule d’ingénierie documentaire à l’Inha et est maître de conférence associé à l’Université Paris Nanterre. Les différents projets auxquels il participe s’articulent autour de la question de la diffusion des données culturelles à l’intersection entre le milieu académique et les institutions.