Le ruissellement peut-il se transformer en inondation ? La décision du marchand d’art David Zwirner et de la galerie londonienne White Cube d'ouvrir des espaces à Paris a déclenché une vague de spéculations sur l'éventuelle implantation d'autres grandes galeries dans la capitale française, à l'approche de la date butoir du Brexit, fixée au 31 octobre. Ayant prévu d’ouvrir le 16 octobre (pour coïncider avec la Fiac), au 108 rue Vieille du Temple, dans le Marais, l'antenne française de Zwirner occupera l'espace de 800 m2 transformé en galerie en 1986 par le célèbre marchand Yvon Lambert. Zwirner reconnaît que le Brexit est à l'origine de sa décision. « Le Brexit change la donne, a-t-il déclaré au Financial Times. Après octobre, ma galerie de Londres sera une galerie britannique, pas une galerie européenne. Je suis européen et je veux le rester. »
Quant à la galerie White Cube, elle ouvrira dans les prochains mois un bureau avec salles d'exposition avenue Matignon. « Depuis la fin des années 1940, Paris est une grande capitale internationale de l'art, explique Mathieu Paris, directeur général de White Cube. L'idée est de présenter de grands chefs-d'œuvre de l'art dans un environnement beau mais confidentiel, dans le respect de la tradition parisienne du marchand d'art. »
Une capitale cosmopolite
Maya Mikelsone, conseillère artistique basée à Paris, estime que la capitale française est devenue plus cosmopolite. « Pendant un temps, la scène artistique française a été très locale, dit-elle, mais avec la mondialisation et les bouleversements politiques et économiques, elle attire aujourd'hui des gens du monde entier. C'est une nouvelle plaque tournante pour les jeunes artistes. »
Un élément très important, selon la journaliste britannique Anny Shaw, concerne les conditions économiques de gestion d'une galerie après le Brexit. Jusqu'à récemment, le Royaume-Uni avait le taux de TVA à l'importation le plus bas de l’Union européenne (5 %), mais, depuis deux ans, d'autres pays de l'UE, notamment la France et l'Espagne, ont réduit leurs taux pour être plus compétitifs (il est de 5,5 % en France). Dans l'éventualité d'un Brexit difficile, souligne Shaw, les expéditeurs mettent en garde contre les retards possibles dans les transports et contre un accroissement de la paperasserie et des coûts.
Les marchands étrangers qui se sont déjà installés à Paris estiment que leur décision a porté ses fruits. La galerie Freedman Fitzpatrick, de Los Angeles, a ouvert un deuxième espace rue Saint-Bon début 2017. Pour Alex Freedman, sa cofondatrice, les raisons de ce lancement sont de trois ordres. « Nous voulions établir une base européenne et, en dehors des États-Unis, nos relations institutionnelles les plus solides se situent en France. Ensuite, un certain nombre d'artistes que nous connaissons s'établissent à Paris, et en tant que galeriste, je pense que nous devons suivre nos artistes. Enfin, étant donné les complexités commerciales que le Brexit entraînera bientôt, et avec l'élection du président Emmanuel Macron, nous avons pensé que Paris se transformerait et s’ouvrirait davantage aux relations avec l’étranger. »
Rayonnement
Cilène Andréhn, de la galerie Andréhn-Schiptjenko à Stockholm, a inauguré sa galerie en mai avec une exposition personnelle de l'artiste britannique Linder. Située près du musée Picasso à Paris, cette galerie est une première incursion en dehors de la Suède, et, dit-elle, une progression naturelle de son rayonnement au-delà de Stockholm. « Elle nous permettra de développer et d'approfondir nos relations avec notre base internationale de collectionneurs ainsi qu'avec les conservateurs de musée et les artistes », estime Cilène Andréhn.
Pendant ce temps, on se demande si d'autres acteurs majeurs vont venir s'établir dans la Ville-Lumière. « Nous sommes toujours en quête de nouveaux marchés, mais la galerie n'a pas d'autres commentaires à faire pour le moment », déclare un porte-parole de la galerie Pace, qui a des espaces dans six villes, dont Londres et Hong Kong. Un porte-parole de Hauser & Wirth a nié les rumeurs selon lesquelles le marchand d’art londonien et new-yorkais prévoyait d'ouvrir une antenne à Paris.