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Soixante ans de Guggenheim : la fin du modèle expansionniste ?

Soixante ans de Guggenheim : la fin du modèle expansionniste ?
Le Guggenheim Museum Bilbao. Œuvres, de gauche à droite : Louise Bourgeois, Maman, 1999 ; Yves Klein, Fontaine de feu (éteinte), 1961 ; Jeff Koons, Tulips, 1995-2004 ; Anish Kapoor, Grand arbre et l'œil, 2009.
© Frank Gehry/Photo Naotake Murayama (CC BY-SA 2.0).

Avec en ligne de mire l'inauguration de la succursule d'Abu Dhabi, prévue en 2022, la Fondation Guggenheim fête les 60 ans de son fameux bâtiment new-yorkais. Quel avenir pour cette franchise à succès ?

Pour la Fondation Guggenheim, 2019 est une année de cérémonies. Elle marque le 60e anniversaire de l’ouverture du siège new-yorkais de l’institution, célèbre testament architectural de Frank Lloyd Wright, ainsi que le 80e de celle de son prédécesseur, le Musée de Peinture Non-objective, qui a ouvert ses portes dans un ancien showroom d’automobiles au beau milieu de Manhattan. Voilà aussi 70 ans que Peggy Guggenheim a racheté le Palazzo Venier dei Leoni, sur le Grand Canal de Venise, pour y installer sa propre collection d’art, qui sera ensuite intégrée à la collection créée par son oncle, le riche industriel Solomon R. Guggenheim. De tous ces anniversaires, c’est le premier qui l’emporte : le grand musée en spirale érigé près de Central Park deviendra la principale vitrine d’une structure philanthropique qui aspirait « à la promotion, l’encouragement et l’éducation à l’art et à l’éclairage du public ». Depuis, cet empire a fait rayonner l’art moderne et contemporain dans tous les coins du monde, fidèle à un fondateur qui songeait déjà à la création « d’un ou plusieurs musées ». Outre son siège à New York, l’institution possède des antennes à Bilbao, Venise et, dans l’avenir, Abu Dhabi. Sans compter les succursales, déjà fermées, dans le Soho new-yorkais, à Las Vegas et Berlin, où la fondation a eu un musée en collaboration avec la Deutsche Bank jusqu’en 2013.

Que reste-t-il, 60 ans après l’ouverture du musée new-yorkais, de cette idée fondatrice ? « Nous sommes restés fidèles à la mission originale d'une manière qui n’était pas prévue au départ », répond le directeur du Guggenheim Bilbao, Juan Ignacio Vidarte, à propos d'un projet né à la fin des années 1980, quand la fondation se rend compte que « la permanence à New York n’était pas suffisante dans une réalité de plus en plus mondialisée » et souhaite faire circuler les œuvres dans d’autres contextes. Bâtie en 1997 dans cette ville industrielle du Pays Basque espagnol, la cathédrale de titane de Frank Gehry est devenue un modèle de développement urbain réussi, maintes fois reproduit au nom du fameux « effet Bilbao », mais souvent avec un succès inégal. « Le cas de Bilbao montre que l’art peut transformer non seulement un individu, mais une ville et même une société. L’initiative a été critiquée à l’origine, car cette instrumentalisation de l’art a été perçue comme illégitime. Aujourd’hui, nous constatons qu’elle a généré de mauvaises imitations, mais qu’elle a également été une référence pour le Louvre et le Centre Pompidou quand ils ont ouvert des lieux à l’étranger », signale son directeur.

Gentrification

Le revers de la médaille reste l’expérience ratée d’Helsinki. Dans un climat de forte contestation, le conseil municipal de la ville rejette en 2016 l’idée d’installer la « franchise Guggenheim » dans le quartier d’Eteläsatama, porte d’entrée au centre urbain depuis la mer Baltique. « Il était inquiétant que les fonds publics alloués à la culture soient versés au Guggenheim afin de pouvoir se servir de son nom pendant des décennies, au lieu de les utiliser pour financer la scène locale », se rappelle l’artiste Terike Haapoja. « Les modèles de développement culturel qui encouragent la gentrification et aggravent les inégalités ne représentent pas l’avenir », ajoute la plasticienne, qui représentait la Finlande à la Biennale de Venise de 2015. Cofondatrice de l’organisation Checkpoint Helsinki, elle s’est très vite mobilisée contre le projet.

Pour la fondation, ce fiasco marqua un tournant. « Nous ne l’avons pas vécu comme un échec, mais comme un apprentissage. L’expérience à Helsinki ne nous a pas amenés à conclure que notre modèle n’était plus valable. Elle nous a plutôt permis de comprendre que ces projets ambitieux requièrent un consensus politique et citoyen qui, dans les sociétés actuelles, est de plus en plus difficile à atteindre », ajoute Juan Ignacio Vidarte, également directeur adjoint de la fondation Guggenheim, en charge de la stratégie globale. Avec les ailes coupées par l’expérience à Helsinki, le Guggenheim d’Abu Dhabi sera-t-il le dernier à voir le jour ? « Je n’ose pas prophétiser, car je ne sais pas ce qui va suivre. Mais le projet aux Émirats démontre que la vision internationale du Guggenheim reste d’actualité… », affirme Vidarte. Dans l’immédiat, le prochain Guggenheim pourrait se trouver, à nouveau, du côté de Bilbao, où la fondation songe à fonder un deuxième siège dans le parc naturel d’Urbaidai, à une trentaine de minutes du musée de Gehry. Le projet attend, pour l’instant, le feu vert des autorités basques.

Verrière du lobby du Guggenheim Museum New York.
Verrière du lobby du Guggenheim Museum New York.
© Frank Lloyd Wright/Photo Ron Sterling (CC-BY-SA-4.0).
La Collection Peggy Guggenheim au Palazzo Venier dei Leoni à Venise.
La Collection Peggy Guggenheim au Palazzo Venier dei Leoni à Venise.
DR.
Projet du Guggenheim Museum Abu Dhabi par Frank Gehry.
Projet du Guggenheim Museum Abu Dhabi par Frank Gehry.
© Frank Gehry.
Juan Ignacio Vidarte.
Juan Ignacio Vidarte.
© FMGB, Guggenheim Bilbao Museoa, 2019.

Article issu de l'édition N°1809