Paris VS Londres. Cette vieille rivalité entre les capitales artistiques est le marronnier du mois d’octobre. L’exercice de style refleurit chaque automne depuis qu’en 2003, profitant d’une période de faiblesse de la Fiac, la foire Frieze a été lancée avec le succès que l’on sait. Dès lors, chaque alternance politique, chaque mouvement capitalistique et chaque record d’enchères est sur-interprétée, à l’aune de cette rivalité. Le Brexit, aux implications imprévisibles mais à coup sûr gigantesques, fait évidemment tourner la machine à spéculations. D’autant que le grand cirque de « Bojo » crédibilise les hypothèses les plus loufoques. Ainsi, à Paris, entend-t-on les cavaliers de l’Apocalypse annoncer l’enlisement accéléré du marché britannique et le redressement symétrique de la France. De ce côté-ci de la Manche, on se réjouit du spectacle quand des entreprises britanniques stockent le papier toilettes ou les médicaments, en prévision des retards des camions de livraison – sans parler de ces collectionneurs londoniens qui « déstockent », transférant leurs trésors vers des cieux plus sereins, et parfois en France.
Ces anticipations, qui ne reposent sur pas grand chose d’autre que nos espoirs, ont au moins le mérite de stimuler les méninges. Et notre capitale sort ses plus beaux atours ! L’offre automnale, fut-elle classique, est époustouflante : Degas à Orsay, Toulouse-Lautrec et Greco au Grand Palais. Qui plus est, la rivalité entre les fondations privées lancées par Bernard Arnault et François Pinault, deux des plus gros acheteurs mondiaux, captera encore plus l’attention en 2020. Sans oublier l’implantation de quelques méga-galeries internationales telles que David Zwirner. Pour la semaine de la Fiac, qui ouvre ses portes le 16 octobre, l’accumulation d’événements et de dîners sera un défi pour les yeux les mieux exercés et les estomacs bien accrochés. Paris, toutefois, devrait se garder de succomber trop vite à l’ivresse.
D’abord parce que derrière le vernis, il y a la réalité d’un marché qui souffre. En France, les petites galeries qui rêvent de pousser les murs n’ont d’autres choix que de quitter le centre parisien pour le Grand Paris. Avec le risque de se retrouver marginalisées, bien loin du quartier Louvre-Rivoli, choisi par les mastodontes comme François Pinault et la Fondation Cartier. En outre, les Britanniques n’ont aucune intention de couler sans batailler. L’ultra-libéralisme en guise de livre rouge, ils promettent déjà de réduire les taxes, afin que Londres reste le principal centre du marché en Europe et, plus encore le point de contact européen avec le reste du monde. Or, à ce jeu fiscal, Paris sait d’expérience qu’elle n’a aucune chance de gagner, ce qui l’obligera à jouer d’autres atouts. Tandis que Londres essaiera de se prendre pour Singapour, la capitale française ferait bien de se prendre pour le phare qu’elle a pu être dans la première moitié du XXe siècle. Mais comme nous sommes au XXIe siècle, il faudra plus d’efforts, pêle-mêle pour développer ateliers et résidences, doper les aides à la production et faciliter l’accueil des artistes étrangers, notamment pour l’obtention de visas. La France peut le faire, si tant est qu’elle en ait la volonté politique.