Depuis bientôt un an, et au fil d’« Actes » répétés chaque samedi, les Gilets Jaunes donnent, en province et à Paris, dans les zones rurales comme urbaines, le pouls de la contestation sociale en France. Les artistes, et encore moins les institutions qui les présentent, ne s’en sont pas emparé. Pourtant, les questions politiques (postcoloniales, environnementales, féministes, queer…) innervent de nombreux textes curatoriaux et propositions artistiques. Mais les intentions ne vont souvent pas au-delà de la représentation littérale et démonstrative. Pour le curateur Guillaume Désanges, dont le travail explore les relations entre art et politique, « tou.te.s les artistes “sérieux.ses’’ ont un rapport au politique, même les plus détaché.e.s en apparence de la question. Quand on choisit cette voie, c’est une manière de se positionner politiquement dans la société, par les formes et par la pensée. » L’artiste Neïl Beloufa abonde : « Être artiste, prendre ce risque, ne servir à rien dans cette société de la performance, c’est déjà un geste, un statement. » On ajoutera : faire œuvre signifie aussi, toujours, s’inscrire dans un contexte (économique, social ou politique).
Des super-citoyen.ne.s
Mais au fait, pourquoi réclamer aux protagonistes de l’art de faire preuve d’« engagement », d’intervenir dans le débat public et même d’agir concrètement dans la société ? Pour quelles raisons demander aux artistes d’être des sortes de « super-citoyen.ne.s », de pacificateurs sociaux ? Comment articuler (ou non) cet engagement à sa pratique ? Et comment ne pas se retrouver instrumentalisé ? « Les artistes sont à l’arrière du politique, ça n’est pas leur rôle, estime Guillaume Désanges. Si l’art politique se met à trop fonctionner, devient effectif, ça n’est plus de l’art, sauf dans quelques cas magnifiques, comme le collectif chilien CADA [Colectivo Acciones de Arte, actif de 1979 à 1984, qui appelait les citoyen.ne.s à prendre part au processus créatif, ndlr]. Quant à la "pratique sociale", c’est devenu un gimmick de l’art : il ne faut pas systématiser l’engagement politique des artistes, il doit rester une nécessité, pas une assignation ou une mode. » Pour Olivier Marboeuf, auteur, curateur, producteur de films et ancien directeur de l’Espace Khiasma, aux Lilas, « il faut sortir de la question du rôle ou de la fonction de l’artiste, pour réfléchir à celle de la position, de la relation sensible, poétique. De même, ce ne sont pas les sujets qui font l’engagement, mais la manière dont on travaille, dont on rend visible certaines conditions : il faut sortir l’artiste de l’héroïsme, l’artiste ne peut pas tout ni tout.e seul.e. »
Si depuis le XIXe siècle et l’autonomisation de l’artiste, celui-ci agit hors de son champ, force est de constater que le mythe romantique de l'individu en retrait face au reste du monde, détaché des choses terrestres, reste tenace. Et rares depuis, celles et ceux…