Le Quotidien de l'Art

Acteurs de l'art

Tartuffe

Tartuffe
Couverture de l'Hebdo du 20 septembre 2019
Simone Altamura

Jusqu’où peuvent nous porter nos convictions ? Telle est la question posée par l’enquête de cette semaine sur l’art et l’engagement (lire page 9). Rompant avec l’individualisme ambiant, certains font des choix extrêmes. En 1968, l’artiste allemande Charlotte Posenenske décidait d’arrêter – temporairement – sa carrière d’artiste minimaliste pour se consacrer à l’activisme social en rédigeant un manifeste tranché : « L’art ne peut contribuer en rien à résoudre les problèmes sociaux urgents. » Olivier Blanckart, après avoir passé quatre ans à travailler dans une association de soins à domicile pour les malades du sida, déclarait en 1995 : « L’art contre le sida ne sert à rien : mettez des capotes. » Récemment, la campagne menée par Nan Goldin contre la famille Sackler, accusée d’avoir diffusé cyniquement des opiacés à l’origine d’addictions mortelles, démontre qu’un engagement collectif bien pensé peut atteindre son but — éveiller les consciences sur la philanthropie sale — sans nuire à la carrière de l’artiste-citoyen qui n’a perdu en cours de route ni ses galeries ni probablement ses collectionneurs. Un champ d’intervention s’ouvre à tous les créateurs frappés d’aquoibonisme.

Faut-il pour autant sommer chacun de « choisir son camp », de dresser des murs entre « la droite » et « la gauche » et, par exemple, refuser d’entrer dans la collection d’un collectionneur « de l’autre bord » ? Ainsi, Michel-Édouard Leclerc serait-il interdit de fréquenter Gérard Fromanger, parce que le métier du premier tamponne les convictions du second ? Imagine-t-on Gilbert et George, conservateurs assumés, refuser d’entrer dans la collection d’un progressiste coupable de défendre l’idée d’un revenu universel minimum ?

De tels oukases seraient évidemment ridicules. D’autant qu’un mouvement engage certains artistes à se transformer en petites entreprises, à la manière de Laurent Grasso, Xavier Veilhan ou Jean-Michel Othoniel bâtissant des studios qui les placent en situation d’employeurs. Cessons d’attendre des acteurs du monde de l’art qu’ils portent une robe de bure, d’autant qu’elle est parfois doublée cachemire. Par contre attendons d’eux qu’ils soient cohérents. Imaginer un avenir plus vert avec le soutien de Total, comme c’est le cas à la Biennale de Lyon, dénoncer les énergies fossiles avec l’apport de BP, tel qu’on a pu le voir à la Biennale d’architecture de Chicago : cette hypocrisie n’est plus de saison. Ne serait-ce que parce que les réseaux sociaux permettent, à tout le moins, de dénoncer les Tartuffe en temps réel.

Article issu de l'édition N°1794