La vivacité de la scène artistique colombienne et de son marché tient à plusieurs facteurs. D’abord, par la création et la survivance d’une constellation d’espaces d’expositions : institutions muséales (la Manzana cultural del Museo del Banco Central, le Museo Nacional, le Museo de arte moderno, le Museo de arte contemporaneo) et fondations (NC-arte, Gilberto Alzate Avendaño-FUGA, ArtNexus, Arteria). On assiste aussi à la multiplication de nombreux lieux indépendants en perpétuel renouvellement (Espacio Odeón, FLORA Ars+natura, MIAMI, Laagencia) : déplorant, pendant longtemps, l’insuffisance de lieux d'art tant commerciaux que non-commerciaux, les artistes ont créé leurs propres espaces pour montrer leur travail et générer des plateformes de rencontres.
Si la première galerie à voir le jour fut Valenzuela Klenner dans les années 1990, ces dix dernières années, un réseau important d'une soixantaine de galeries s’est implanté à Bogota, avec une augmentation estimée à 30 % ces sept dernières années. La plupart d’entre elles se trouvent à San Felipe, nouveau quartier artistique de la ville, où Doris Salcedo, l’une des artistes les plus célèbres de Colombie, a son atelier. Ainsi la Cometa, galerie fondée par Esteban Jaramillo, est présente dans six pays, et a récemment ouvert des espaces à Madrid et Medellin, avant México l'an prochain.
ARTBO, catalyseur de la scène locale
La plupart de ces galeries exposent à ARTBO, foire internationale d’art de Bogota, créée en 2004 par la Chambre de Commerce. Saluée comme l'une des plus importantes d'Amérique latine avec ZONAMACO à México et SP-Arte à São Paulo, elle joue un rôle clef dans l’essor de l’art colombien. ARTBO, c’est « 70 galeries provenant de 30 villes de 21 pays, qui investissent 13000 m2 en exposant plus de 3000 œuvres », nous rappelle sa directrice María Paz Gaviria. Certaines galeries colombiennes participantes réalisent 85 % de leur chiffre d'affaires pendant la foire. Directrice depuis 2011, María Paz Gaviria, collectionneuse et historienne de l’art (mais aussi fille de l’ancien président de la République César Gaviria), a donné une véritable visibilité à l’art contemporain colombien en faisant de la foire un catalyseur de la scène locale.
Outre la création de « trois espaces d’exposition où travaillent des curateurs.trices et des artistes émergent.e.s, et accueillent une quinzaine d’expositions à l’année », évoque-t-elle, la foire propose une riche programmation gratuite de conférences et de rencontres au sujet du collectionnisme et du marché de la scène colombienne. Une section entière – Artecámara –, est par ailleurs consacrée à l’art émergent colombien sans représentation commerciale. Une autre, Referentes, propose de relire l’histoire de l’art moderne colombien, tandis qu'Articularte est un programme destiné aux jeunes publics.
Pour José Roca, fondateur et directeur de l’espace indépendant FLORA ars+natura, l’art colombien doit en grande partie son rayonnement international à ARTBO : « Face à l’absence d’une biennale d’art international à Bogota qui permette de montrer ce qui se fait ici, ces lieux ont réussi à générer des opportunités pour que l’art colombien se fasse connaître à l’étranger. » Et María Paz Gaviria d’ajouter : « ARTBO est le point d’internationalisation des arts plastiques en Colombie. La visibilité internationale contribue beaucoup à la visibilité locale. Le fait que nous soyons autant regardés depuis l’extérieur nous invite à nous regarder nous mêmes. » Ainsi l’art colombien a-t-il réussi à se diffuser dans certaines places du marché international, en Asie, Europe et États-Unis. En 2015, la Colombie était l'invitée d'honneur à ARCO Madrid, et en 2019 l'Art Paris Art Fair a proposé un focus sur les artistes colombiens.
Intérêt international
Autre signe de dynamisme : le nombre de collectionneurs nationaux va croissant. Pour consolider localement cette tendance à l’achat d’art, un master de formation à l'achat d'art a même été créé à l’Université Jorge Tadeo Lozano. Si ARTBO cristallise d’importants investissements nationaux, elle constitue le nouveau rendez-vous des collectionneurs.ses et curateurs.trices internationaux.ales ainsi que d’importants comités d’acquisition de grands musées internationaux comme le MoMA, le Centre Pompidou, la Tate ou le Reina Sofia. Ainsi la croissante présence de l’art colombien dans les collections internationales est-elle manifeste.
Si l’engouement pour la scène colombienne aujourd’hui est réjouissant, se pose la question du manque de prise en compte de l’historicité de l’art contemporain colombien, qui nécessiterait un travail de généalogie. Celui-ci a été entamé récemment par Martín Nova dans son ouvrage Conversaciones con el fantasma [Conversations avec un fantôme, 2017]. À travers 32 entretiens, il constitue l’un des panoramas les plus complets de l’art colombien, du milieu du XXe siècle à nos jours. Une manière d'écrire le présent pour envisager de possibles destins.
À voir
ARTBO, du 19 au 22 septembre, Bogota, artbo.co