soit dit en passant
Directeur adjoint du musée national d’Art moderne, Didier Ottinger confie avoir consacré ses vacances d’été à défricher le terrain de sa maison de campagne. En tant que commissaire de la magnifique exposition Francis Bacon qui s’est ouverte le 11 septembre au Centre Pompidou, il a pris le parti de ratiboiser aussi les cartels. Bien que baptisé « En toutes lettres », l’accrochage assume une singulière économie de mots.
Après un premier panneau explicatif, l’érudit volubile a bridé sa verve. Titre, date, nom de la collection, et c’est tout. Même les extraits de livres ayant inspiré le peintre sont lus et seulement reproduits dans un livret à part. Ce choix radical place le visiteur dans une posture dont il avait perdu l’habitude : regarder les tableaux. Utiliser son cerveau droit plutôt que gauche. Les curieux qui souhaiteront accéder au décryptage de l’œuvre du peintre anglais après 1971 devront se reporter au catalogue de l’exposition.
Ce reflux de la réflexion au profit de la sensation mérite de faire école. Non que le cartel descriptif ou informatif soit superflu. C’est en principe le premier recours du visiteur égaré – ou effaré – quand il se sent perdre pied. Mais, et c’est regrettable, il a pris de l’ampleur, beaucoup d’ampleur. Comme s’il fallait tout contextualiser, tout historiciser, tout asséner. Et dissiper à coup de références le mystère de la création.
À l’occasion du savoureux accrochage « Le paradoxe du cartel » à la galerie Valérie Delaunay, en 2017, la commissaire Isabelle de Maison Rouge pointait qu’un visiteur s’attarde en moyenne entre 13 et 30 secondes devant une œuvre et pas moins de 11 secondes devant son cartel. Mais si le cartel fait œuvre, que devient l’œuvre ?, s’interrogeait-elle non sans malice. On lui répondra qu’elle se dilue dans la glose qui, sous couvert de neutralité, leur fait écran, en nous disant quoi regarder et comment penser.
Forts de la leçon de défrichage de Didier Ottinger, on suggèrera donc aux visiteurs de la très belle exposition Sally Mann au Jeu de Paume, qui se tient jusqu’au 22 septembre, de s’épargner la lecture des longs cartels. À force de description, ils gauchissent le propos, puissamment simple, de la photographe.