Le Quotidien de l'Art

Expositions

À Wörthersee, des arbres comme œuvres d’art vivantes

À Wörthersee, des arbres comme œuvres d’art vivantes
Max Peintner, The Unending Attraction of Nature, 1970-71, dessin coloré à la main par Klaus Littmann en 2018.
© For Forest.

Un stade de football plein comme un œuf, des spectateurs debout qui ne viennent pas pour regarder un match, mais pour voir une forêt ! L’artiste autrichien Max Peintner évoque une dystopie : une nature que nous pourrions voir uniquement dans des espaces clos qui lui seraient dédiés, comme des zoos ou des musées. Né en 1937, il a réalisé ce travail original sous le titre The Unending Attraction of Nature en 1970-1972. Peintner est une figure importante du mouvement écologiste autrichien, connu depuis les années 1970 pour ses dessins critiques de la civilisation. Presque 50 ans plus tard, ce travail a inspiré le Suisse Klaus Littmann, ancien galeriste et initiateur d’interventions artistiques, et l’a poussé à réaliser For Forest, la plus grande installation artistique jamais vue dans l’espace public en Autriche : 300 arbres visibles dans l’enceinte du stade de football de Wörthersee. Alors que la Fondation Cartier, à Paris, propose jusqu'au 10 novembre une exposition explorant les récentes recherches scientifiques sur les arbres, ce projet XXL sera présenté du 9 septembre au 27 octobre 2019. Le message reste le même : la nature, que nous prenons encore comme une évidence, pourrait un jour disparaître pour ne plus être exposée que derrière des vitres. Pour Littmann, cette installation gigantesque au cœur même de la ville a pour objectif de « fonctionner comme un mémorial ». La question qu'elle pose est : comment traitons-nous la nature ? 

Collectionner des arbres

Cette question très actuelle se pose aussi grâce à l’architecte paysagiste Enzo Enea, qui a participé à ce projet unique. C’est lui qui a mis en œuvre ce projet de forêt mixte d’arbres de 12 à 14 mètres de hauteur, pesant chacun jusqu'à six tonnes. Il a répertorié 16 espèces différentes. En nombre, les bouleaux dominent, suivis des peupliers faux-trembles, des mélèzes et des chênes pédonculés, l’objectif étant de constituer une forêt mixte rarement trouvée à l’état sauvage. Enea, Suisse né en 1964, a ouvert en 2010 le musée de l’Arbre (Baummuseum) à Rapperswil, sur les bords du lac de Zurich. Il a rassemblé 50 arbres de plus de 25 espèces âgés de plus de 100 ans pour créer une aura d'immortalité. Cent autres arbres et plantes se trouvent dans le parc du musée de 7,5 hectares. « Certains collectionnent des montres, des voitures ou des vins, moi je collectionne des arbres », a-t-il expliqué dans une interview. Pour lui, les arbres sont comme des êtres vivants qui pourraient atteindre un âge biblique. « Ils sont même supérieurs aux humains en termes de constance, de puissance et de force. » 

Enea récupère des arbres dont d’autres souhaitent se débarrasser pour construire des bâtiments ou tracer des routes. Pour les acheminer, il doit souvent mettre en place des moyens considérables : transports spéciaux et même hélicoptères, quand les arbres sont trop grands pour passer sous un pont. Il a ainsi sauvé un érable japonais, âgé de plus de 150 ans, menacé par des travaux de construction devant le palais des Congrès de Zurich. Chaque arbre possède sa propre histoire, comme les œuvres dans les musées. Par exemple, ce châtaignier noueux qui se trouvait autrefois dans un village suisse et servait d'« arbre à messages ». À l’époque, on y accrochait avec des punaises les informations destinées aux habitants. Le sauvetage a coûté environ 20 000 francs suisses (environ 18 400 euros) – excavation, transport et plantation compris. La pièce rare du musée est un arbre fossilisé vieux de 20 millions d’années provenant de Bali. 

Archéologies

Enea gère son Baummuseum comme un conservateur de musée. Les arbres sont adossés à de larges blocs de roche calcaire qui mettent en valeur la beauté de leurs corps dénudés ou leur somptueuse parure, et donnent à leurs formes modelées par le temps, le vent et la pluie une dimension archéologique. Le spectateur les perçoit comme de véritables sculptures. Cette impression est renforcée par la présence d’œuvres d’artistes contemporains comme Jaume Plensa, Martin Kippenberger, Stella Hamberg et Sergio Tappa. 

Pour déplacer et transporter ces vieux arbres, Enea utilise une technique qui trouve ses origines dans la culture du bondage japonais, le shibari – technique que les samouraïs utilisaient à l'origine pour menotter leurs prisonniers et les traîner derrière eux. En juin 2019, il a présenté ces œuvres vivantes à Art Basel avec pour thème la durabilité. Pour l’installation Utiliser / Abuser, Enea a exposé des oliviers centenaires, arbres qui produisent des fruits, de l'huile et de l'oxygène, et dont le plus ancien remonte au XIIIe siècle, évoquant clairement la place de plus en plus réduite des arbres dans les grandes villes.
 

À voir 

For Forest, du 8 septembre au 29 octobre, stade de football de Wörthersee, forforest.net

Nous les arbres, jusqu'au 10 novembre, Fondation Cartier, Paris, fondationcartier.com

Klaus Littmann colorant l'œuvre de Max Peintner, The Unending Attraction of Nature.
Klaus Littmann colorant l'œuvre de Max Peintner, The Unending Attraction of Nature.
© Emmanuel Fradin.
Max Peintner, Die ungebrochene Anziehungskraft der Natur, 1970-71, dessin.
Max Peintner, Die ungebrochene Anziehungskraft der Natur, 1970-71, dessin.
© Max Peintner.
Max Peintner et Klaus Littmann.
Max Peintner et Klaus Littmann.
© Gerhard Maurer.
Logo de FOR FOREST.
Logo de FOR FOREST.
© For Forest.
Le Tree Museum d'Enzo Enea à Rapperswil-Jona, Suisse.
Le Tree Museum d'Enzo Enea à Rapperswil-Jona, Suisse.
© Enea GmbH.
Le Tree Museum (Baummuseum),  Enea Garden, à Rapperswil-Jona, Suisse.
Le Tree Museum (Baummuseum), Enea Garden, à Rapperswil-Jona, Suisse.
© Enea GmbH.
Le Tree Museum d'Enzo Enea à Rapperswil-Jona, Suisse.
Le Tree Museum d'Enzo Enea à Rapperswil-Jona, Suisse.
© Enea GmbH.

Article issu de l'édition N°1784