Le Quotidien de l'Art

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L'art au centre

L'art au centre
Couverture de l'Hebdo du 6 septembre 2019
Simone Altamura

Après 35 années auprès de son père Arne, fondateur de la galerie Pace, Marc Glimcher estime qu’il est temps de réinventer le métier de marchand d’art. À New York, le 14 septembre, les Glimcher père et fils inaugureront une salle de concert, une bibliothèque et des foodtrucks, autant d’animations pensées pour accompagner leur gigantesque espace d’exposition sur huit étages. Pour Pace, comme pour Hauser & Wirth qui a fait de l’immobilier hybride sa marque de fabrique, le débat sur le mélange des genres est largement dépassé. Pour le public, observent-ils, découvrir des œuvres d’art dans un grand magasin ou un restaurant est chose banale. Les acheter dans un white cube qui prétendrait isoler l’art d’autres activités culturelles, mercantiles ou gastronomiques n’est plus de saison. Ces puissants ont peut-être philosophiquement tort, mais commercialement raison.

Foin de nostalgie : nul ne peut regretter l’époque où l’on intimidait le novice en l’accueillant avec froideur dans des espaces givrés et aseptisés, afin d’offrir aux « vrais » collectionneurs le sentiment d’en être. Ce snobisme, d’ailleurs, fonctionne moins bien auprès des jeunes générations éprises d’horizontalité, fût-elle factice, et de transversalité... Pour autant, s’il est possible de « se faire l’expo Rothko » après ou avant d’avoir avalé un hot-dog sur la terrasse et assisté à un concert de jazz, un minimum de solennité s’impose pour découvrir une œuvre plus confidentielle.

Dès lors, imiter les Glimcher et présenter cette course au gigantisme et à la diversification comme l’avenir des galeries d’art en manque de visiteurs, c’est ignorer qu’il n’y a pas une seule catégorie de galeries, mais deux. Les premières sont des marques. À ce titre, elles ont tout intérêt à se caler sur les standards du luxe – un secteur qui ne jure plus que par l’expérience sans qu’on sache vraiment ce que ce vocable recouvre. Leur puissance financière leur permet de défier les grands musées qui eux aussi jouent la carte du « full-service ». Pour les autres, c’est-à-dire 99 % de la profession, la surenchère dans l’espace ou la diversification des activités n’est pas une option. Plutôt que de rêver d’intégrer l’univers « platinum », ou s’imaginer en lieux de vie, ces galeries ont intérêt à remettre l’art au centre et retrouver leur rôle de médiation. Laisser les mégas enfler de leur puissance et jouer la dissidence avec finesse, est-ce stupide comme résolution de rentrée ?

Article issu de l'édition N°1784