Alors que les Parisiens vitupèrent contre l’insalubrité endémique et les chantiers de travaux publics pléthoriques – 6000 en cours –, la municipalité affiche son ambition... esthétique. « Embellir Paris », quelle bonne idée... sur le papier. L’adjoint à la Culture, Christophe Girard, est ainsi mandaté pour promouvoir une vingtaine de micro-projets, aux confins de l’architecture, de l’urbanisme et de l’art contemporain. L’ambition : braquer le projecteur sur quelques-uns des recoins les plus sordides de la capitale – murs aveugles de l’école Keller (11e) ou préau cracra de la rue Michel Le Comte (3e) –, pour en faire des lieux, sinon désirables, du moins aimables.
Plus que le résultat, c’est le making-of qui compte. Un appel à projet pour éviter le soupçon de copinage. Suivi d’un appel à la vox populi pour cocher la case démocratie participative. À la fin de ce processus, un échantillon de personnalités incontestables et sympathiques du milieu de l’art contemporain sollicité pour désigner les lauréats. Aussi louable et prudent soit-il, ce dispositif a pourtant accouché d’une vingtaine d’expérimentations, inoffensives pour la plupart.
L’audace, chère à Christophe Girard, est aux abonnés absents, à moins de désigner sous ce vocable des couleurs primaires cache-misère badigeonnées sur du béton, à la manière des fresques enfantines qui égayent déjà les écoles primaires des villes et villages de France. Une ou deux œuvres seulement échappent à ce jeu de coloriage. Une seule artiste, pour tout dire, a cherché à habiter l’espace plutôt qu’à l’habiller : Randa Maroufi, repérée dans le cadre de la Bourse Révélations Emerige et dont le projet est porté par l’Institut des cultures d’Islam. Sous le métro aérien à Barbès-Rochechouart, dans cette longue et laide artère qui accueille tous les trafics, cette prometteuse vidéaste a installé des photos de femmes. Femmes au café, femmes au salon de coiffure, femmes tenant le mur... Le grand remplacement des hommes, en quelque sorte, comme une réponse ironique mais non-agressive à l’islamo-machisme.
La faiblesse du pécule dévolu à chaque intervention – maxi 50 000 euros – n’explique pas seule l’inconsistance de l’ensemble. Peu d’artistes ont répondu à l’appel, sans doute parce qu’il est plus facile de poser une œuvre dans un lieu que d’y intervenir en profondeur. Plus grave, l’espace public semble désormais conçu comme un lieu neutre. Et l’art ne doit plus heurter personne. Comme si les ostentatoires cœurs de Joana Vasconcelos et tulipes de Koons avaient, dans leur coûteuse grandiloquence, tari le champ des possibles. Or, cette volonté d’unanimité ne saurait produire qu’un art estampillé « United Colors » qui, souhaitant plaire à tout le monde, ne touche personne.