Le Quotidien de l'Art

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Carole Douillard / Babette Mangolte : « Une grande leçon »

Carole Douillard / Babette Mangolte : « Une grande leçon »
Babette Mangolte.
© Babette Mangolte.

À l'occasion de l'exposition que le musée de Rochechouart consacre à Babette Mangolte, l'artiste Carole Douillard exprime son admiration pour la réalisatrice et photographe avec laquelle elle vient de tourner à Alger le somptueux film Idir.

« Travailler avec Babette Mangolte a été une grande leçon », affirme, des étoiles dans les yeux, Carole Douillard. « C’est un monstre de l’art », ajoute l’artiste franco-algérienne de 48 ans à propos de son aînée, née dans le Jura en 1941 et installée à New York depuis 1970. Les deux femmes ont réalisé ensemble un film, Idir, tourné à Alger en 2018. Une collaboration que Carole Douillard, artiste de la performance et chercheuse, qualifie comme « parfois difficile, en raison de l’érudition, de la grande exigence formelle et de la rigueur intellectuelle » de Babette Mangolte. Celle-ci, dont on peut voir au musée de Rochechouart (jusqu’au 16 septembre) une rétrospective de près de 50 années de travail – la première en France –, est une légende. Grande virtuose de l’image et du corps en mouvement, elle fut la directrice de la photographie pour les chefs-d'œuvre de Chantal Akerman, La Chambre (1972) et Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975). Elle y perfectionna la pratique du défilement et du séquençage des images, dans une précision du cadrage et du travelling que l’on retrouve près de 40 ans plus tard dans le film Edward Krasinski’s Studio (2012), série de plans mélancoliques tournés dans l’atelier abandonné de l’artiste polonais.

Apprivoisées

« Babette Mangolte fait partie de ces artistes qui aiment entrer dans l’œuvre d’un.e autre artiste », rappelle Sébastien Faucon, directeur du musée de Rochechouart et commissaire de l’exposition. Pour Carole Douillard, qui partage avec l’artiste franco-américaine l’intérêt pour le rapport entre public et privé mais aussi la représentation de l’intimité, travailler avec Babette Mangolte était un rêve devenu réalité. C’est au terme d’un projet de recherche sur le corps et la performance débuté en 2013 sur le territoire algérien que Carole Douillard a imaginé réaliser un film réactivant la performance célèbre de Bruce Nauman, Walking in an Exaggerated Manner Around the Perimeter of a Square (1967-1968). Idir montre un jeune homme, sous l’œil mi-amusé mi-sceptique des badauds, reproduire avec grâce le déhanché léger et patient de l’artiste américain : « J’ai voulu évoquer la question de l’hyper-présence masculine dans l’espace algérien remodelé par la religion, où il y a peu de corps isolés ou hors des poncifs virilistes. Ce qui m’intéressait, c'était les réactions des hommes autour d’Idir », raconte l’artiste, dont la performance The Viewers, corps statiques imposant leur présence brute, a été présentée à diverses reprises depuis 2014. C’est la curatrice québécoise Chantal Pontbriand qui lui conseille de contacter Babette Mangolte pour réaliser le film : « Je connais l'œuvre de Babette depuis toujours, raconte Carole Douillard. Notamment ses films et photographies de chorégraphes américain.e.s des années 1970 – Yvonne Rainer, Trisha Brown, Simone Forti, Steve Paxton –, où la caméra suit le corps, à la verticale ou à l’horizontale. J’aime particulièrement sa qualité d’analyse de la forme, comme par exemple dans le film qu’elle a réalisé sur Marina Abramović en 2007, où elle fait sentir l’espace entre le public et la performeuse. »

Mais c’est par la méthode de travail de Babette Mangolte que Carole Douillard a le plus appris. « Nous avons eu des désaccords sur certains points, évoque-t-elle. Sa méthodologie est très efficace et très précise ; en même temps, elle a une grande souplesse dans sa relation au réel. J’ai moi-même dû abandonner mes attentes de plasticienne exigeant de maîtriser la forme pour laisser Babette diriger ou accepter certains éléments impromptus, comme la pluie, quand j’avais imaginé un grand ciel bleu ! Elle m’a rassurée sur le fait que la vie intervienne dans l’œuvre. » Autre apport de la réalisatrice à sa cadette : « J’ai compris son rapport à la solitude, souligne Carole Douillard. Elle me disait : “Ne prends surtout pas d’assistant.e !” » Le dialogue qui s’est établi entre les deux artistes a alors pris des airs d’apprivoisement réciproque : « On a réussi à préserver nos espaces respectifs sans se cannibaliser. » Et, se réjouit Carole Douillard, le résultat (que l'on pourra voir à partir du 14 novembre à la Chapelle oratorie de Nantes) est « un petit bijou ». Vu et approuvé.

Babette Mangolte, Spaces to SEE, 2019. Musée d'art contemporain de la Haute-Vienne.
Babette Mangolte, Spaces to SEE, 2019. Musée d'art contemporain de la Haute-Vienne.
Photo Aurélien Mole/© Babette Mangolte.
Carole Douillard.
Carole Douillard.
© Eric Perraud, 2019.
Carole Douillard et Babette Mangolte, "Idir", 2018, film still.
Carole Douillard et Babette Mangolte, "Idir", 2018, film still.
© Carole Douillard & Babette Mangolte © ADAGP, Paris, 2019.

Article issu de l'édition N°1774