Le Quotidien de l'Art

Politique culturelle

L'art en circuit court

L'art en circuit court
Séverin Millet

soit dit en passant

39° C à Paris, 29° C à Londres – la Tate Modern ne pouvait rêver meilleur timing pour décréter l’état d’urgence climatique en plein mois de juillet. L’engagement de ce musée qui donne le la est raisonnable – réduire son empreinte carbone de 10 % d’ici 2023. Parmi la déclinaison des moyens imaginés : proposer des menus vegan, recycler les cimaises, se mettre à l’électricité verte – et sans doute baisser la clim, quitte à faire fuir les touristes qui s’y pressent en quête de fraîcheur autant que de culture gratuite. Au-delà, la direction suggère à ses conservateurs de préférer le train. Ces têtes chercheuses qui avaient la réputation de sillonner la planète plus que d’autres, débusquant les nouveaux talents de Lagos à Kochi, des Philippines à la Tasmanie, et chassant au passage les potentiels « amis » au portefeuille bien garnis, devront se contenter d’un billet Eurostar lorsqu’ils auront épuisé les charmes de Liverpool et de Bristol.

Railleries mises à part, il est heureux que les musées s’adaptent eux aussi au défi écologique. Sans jouer les Greta Thunberg de l’art contemporain, qu’il soit permis d’écrire ici que notre milieu, parfois perçu comme hors du monde, doit au moins être de son temps et ne plus fonctionner comme si la maison ne brûlait pas. Il ne s’agit évidemment pas de se priver de l’œuvre passionnante d’Hicham Berrada, sous prétexte que son travail serait énergivore et polluant, et ne plus privilégier que des artistes comme Olafur Eliasson, actuellement à l’honneur à la Tate, parce qu’ils auraient le bon goût d’intégrer la question du dérèglement climatique.

Certains rituels propres au milieu, en revanche, pourront être abandonnés sans dommage. On a longtemps cru, par exemple, que la différence entre un collectionneur et un grand collectionneur se calculait en miles accumulés sur une carte de fidélité aérienne. En oubliant qu’il n’a pas toujours été nécessaire de sillonner le Brésil ou le Congo pour acquérir des œuvres majeures de ces pays, ni, comme nous l’avions cru, de chroniquer chaque année les foires de Dubai et Hong Kong pour s’imposer comme un observateur fiable. La transhumance arty, où les mêmes personnes se retrouvent un soir à New York, l’autre à Hong Kong, devant les mêmes œuvres sélectionnées par les mêmes galeristes, c’est très XXe siècle.

Plus profondément, pour la Tate comme pour d’autres institutions de ce côté-ci de la Manche, des pistes existent pour rester global tout en privilégiant le local, pour continuer à viser l’excellence avec une économie de moyens. Une idée parmi d’autres : le recours plus systématique à des curateurs locaux ou à des conservateurs détachés, immergés sur une période longue dans les cultures extra-occidentales, qui, sans passer leur temps en allers-retours, seraient capables de faire profiter le quartier général de leurs connaissances. Si chacun de nous voulait bien y réfléchir, en lâchant un peu de ses privilèges, nous pourrions continuer à nous ouvrir au monde sans le mettre en péril.

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Article issu de l'édition N°1774