Si David Zwirner, en quête d’une adresse dans l’Union européenne pour cause de Brexit, avait choisi Bruxelles, Berlin ou Milan, Paris aurait eu des raisons de faire grise mine. Malgré les manifestations le samedi et les embouteillages tout le reste de la semaine, le méga-galeriste ayant annoncé son arrivée en plein cœur du Marais, il serait paradoxal – et très parisien –de ne pas se réjouir. Néanmoins, ce qui est bon, et même très bon, pour la capitale n’est pas forcément excellent pour le milieu de l’art français.
La concurrence d’un mastodonte inquiète, à raison, les galeries tricolores qui, depuis parfois plus de vingt ans, équilibrent leur budget avec des artistes de renommée internationale et d’autres qui ne sont pas encore des marques. L’ouverture d’une succursale parisienne de la maison Zwirner signale qu’il reprendra le monopole des premiers. Or, si le mouvement vers Paris se confirme avec le débarquement programmé ou envisagé de Hauser & Wirth, White Cube et Esther Schipper, c’est un moment de vérité qui s’annonce. À très brève échéance comptable.
Qui plus est, la clientèle des collectionneurs ne manquera pas d’aggraver la situation, dès lors qu’elle préfèrera faire ses courses chez les méga, y compris pour certains artistes français. Le phénomène existe déjà, quand certains amateurs d’art et de statut social se rendent à New York ou à Londres pour acheter l’œuvre d’un artiste qu’ils pourraient trouver au coin de leur rue, juste pour le plaisir d’avoir un paquet cadeau siglé Gagosian, par exemple, et de figurer ainsi sur sa liste VIP. La théorie du ruissellement, qui voudrait que le succès des plus riches affecte positivement les plus fragiles, risque ici d’en prendre encore un coup. Hélas pour les Frenchies, le plus probable est de vérifier la pertinence du « Matthew effect », théorisé par le sociologue américain Robert King Merton, lequel s’appuie sur l’Évangile selon saint Matthieu : « On donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. » Faut-il rappeler que l’internationalisation de la FIAC n’a pas vraiment profité aux enseignes françaises, avec un contingent tricolore qui se réduit d’année en année – 28 % cette année contre 31 % en 2018 ? Parmi les exclues de la prochaine édition, les galeries de proximité – comme on parle de libraire de quartier ou de cinéma d’art et d’essai –, celles qui ont un regard singulier comme Thomas Bernard ou Jérôme Poggi.
David Zwirner, ce géant pas comme les autres, sait d’évidence qu’on a toujours besoin d’un plus petit que soi. En 2018, il a su relayer la grogne des petites galeries étranglées par le coût des foires, qui se sont toutes empressées de réviser leur tarification. Dans ses newsletters, il se fait fort aussi de défendre le réseau des petites librairies américaines, où sont diffusés ses catalogues. S’il lui prenait l’envie de faire à Paris ce qu’il a fait à New York, s’intéresser réellement à tous les échelons de la scène et pas uniquement au haut du panier, la donne changerait drastiquement. Et à cette condition, seulement, on pourrait se réjouir.