Lundi dernier, Paris avait un air de New York, avec les membres du collectif P.A.I.N., les pieds dans la fontaine entourant la pyramide du Louvre. La trentaine de manifestants sommait le musée français de débaptiser les 12 salles d’antiquités orientales qui portent le patronyme des Sackler, autrefois prestigieux et désormais honni pour cause de crise sanitaire – 218 000 morts en 20 ans aux États-Unis à cause des opioïdes distribués par la généreuse famille d’industriels du médicament. La réponse du Louvre à cette importation du « name and shame » ? Le don est ancien – il date de 1996 –, un an après le lancement de l’OxyContin, un antidouleur particulièrement addictif responsable d’overdoses en séries dont le public ignorait alors les ravages.
Certes, il y a prescription. Il n’en est pas moins urgent de retirer ce nom, à Paris comme à Londres, où il s’étale encore crânement sur la rampe d’escalator de la Tate Modern et aux quatre coins des salles du British Museum. Car il en va de l’image de l’institution aux yeux d’un public qui bientôt demandera des comptes aux musées, comme jadis aux hommes politiques lorsqu’ils étaient financés par un géant de l’acier ou de l’assainissement des eaux. Question de cohérence.
Disons le clairement, il ne peut y avoir de mécénat sans éthique. Président de l’Admical, François Debiesse lui-même l’a concédé en novembre 2018 dans une tribune publiée dans Le Monde. Ses critères sont bien choisis : le respect des droits et des lois, de l’environnement et des engagements. Encore faut-il leur donner chair.
Lire la charte éthique du ministère de la Culture, c’est manquer de s’endormir par jour de canicule. Beaucoup est laissé à l’appréciation – à géométries variables – des directeurs de musée. Aux patrons du Palais de Tokyo ou du quai Branly de questionner le mécénat de Total – ou pas. Total, qui n’est certes pas Sackler, n’exploite-t-il pas des énergies fossiles, avec l’effet connu sur la planète ? Le « naming » (lire l'Hebdo du 12 avril 2018) sur la mezzanine du quai Branly, rebaptisée Marc Ladreit de Lacharrière après sa donation, est-il une manière de donner l’absolution à un homme qui a trouvé malin de se mettre dans les petits papiers d’un Premier ministre en donnant de l’argent de poche à son épouse, ce qui lui a valu une condamnation en décembre 2018 à huit mois de prison avec sursis et 375 000 euros d’amende pour abus de biens sociaux ?
En France, plus encore qu’aux États-Unis, les « milliardaires bienfaiteurs » et autres entreprises du CAC 40 sont intouchables aux yeux du monde culturel. À la moindre critique, on nous ressort le même refrain : sans eux, plus d’art, d’expositions, de collections... bref, plus rien. C’est très exagéré. Une exposition de moins dans la pléthorique offre culturelle ne changerait pas la face du monde. Pas plus que ne sont nécessaires toutes les extensions qui viennent agrandir tous les dix ans les musées. Mieux vaut être debout chez soi qu’assis, pire courbé, chez les autres.