Le Quotidien de l'Art

Marché

L’envolée de Kaws, miroir de son époque

L’envolée de Kaws, miroir de son époque
KAWS, vue de l'expisition "WHERE THE END STARTS", au Modern Art Museum of Fort Worth, Fort Worth, 2016.
Courtesy Perrotin.

Dopé par une demande globale, le New-Yorkais Kaws et son iconographie inspirée de la culture populaire flambent aux enchères. Naviguant entre les mondes de l’art, de la musique et du luxe, cette nouvelle figure d’artiste est le parfait reflet de son temps.

« Quel étrange matin. Est-ce que je pense que mon œuvre doit se vendre aussi cher ? Non. Suis-je arrivé à la même heure que d’habitude à mon studio ce matin ? Oui. Ferai-je de même demain ? Oui. » C’est en ces mots, distillés sur son compte Instagram à 2 millions de followers, que l’artiste Brian Donnelly, aka Kaws, commentait son nouveau record aux enchères à quelque 13 millions d’euros, au lendemain de la vente de Christie’s Hong Kong le 1er avril dernier. La toile en question, The Kaws Album, créée en 2005, télescope la couverture du mythique album des Beatles, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, avec l’univers des Simpsons aux yeux remplacés par des croix, sa marque de fabrique. L’estimation ayant été multipliée par plus de 15, nul doute que le vendeur, Nigo – un entrepreneur japonais amateur de la première heure –, s’est assuré une confortable plus-value. Le trophée a été emporté par un jeune Français expatrié à Hong Kong, Raphaël Geismar, amateur de street art et de BD, connu pour avoir emporté les plus belles planches de Blake et Mortimer de Jacobs.

Un artiste de son temps

Pour l’artiste new-yorkais de 44 ans, qui s’est fait connaître en incrustant ses personnages sur des affiches publicitaires dans les années 1990, le succès n’est guère nouveau. Mais les prix de ses œuvres au second marché flambent : alors qu’elles n’ont atteint le million d’euros en vente publique qu’en 2018, ses 40 plus hautes enchères (dont 17 millionnaires) se sont succédées en à peine 18 mois. L’artiste était présent dans toutes les dernières grandes ventes du soir new-yorkaises. Chez Phillips, The Walk Home (2012), où figure le personnage de dessin animé Bob l’Éponge affolé, atteignait 4,5 millions d’euros, neuf fois son estimation. Chez Christie’s, In the Woods (2002), version dark de Blanche-Neige, était emporté 3,4 millions d’euros. Chez Sotheby’s, c’est Kurf (2008), inspiré des Schtroumpfs, qui était acquis 2,3 millions d’euros.

Pourquoi une telle envolée ? « Issu de la culture skate, Kaws a su réinterpréter les icônes de la culture populaire et en faire une œuvre facile d’accès et efficace qui touche des gens d’horizons très différents à travers la planète entière », observe Arnaud Oliveux, responsable du département d’art urbain chez Artcurial. La rareté des pièces n’a fait qu’exacerber l’explosion des prix. « L’artiste produit peu, chaque exposition est très longue à préparer. Le premier marché est très tendu, il y a très peu de pièces disponibles et énormément de demandes. Mais nous conservons des prix justes, nous travaillons sur le long terme », précise Vanessa Clairet, responsable de la communication chez Perrotin.

L’artiste s’est assuré une audience globale sans suivre les règles traditionnelles du marché de l’art. Avant d’être adoubé par certains de ses acteurs, dont Perrotin dès 2008, il distribuait ses sérigraphies, ses tee-shirts ou ses toys, statuettes de ses personnages Chum, Accomplice ou Companion sur internet ou dans boutiques branchées. Il collaborait à des projets musicaux – il a réalisé la pochette d’un album de Kanye West – ou liés à la mode et au luxe – aujourd’hui il compte Dior, Uniqlo ou Hennessy parmi ses clients. Autant d’éléments lui assurant aujourd’hui une popularité inédite auprès des 20-45 ans, dopée grâce aux réseaux sociaux. « Kaws est un artiste de son temps, il reflète la façon dont fonctionne la société, où tout est devenu consommation et où le monde de l’art est globalisé, dans une approche totalement décomplexée. C’est un véritable phénomène générationnel », résume Arnaud Oliveux.

Merchandising

Son iconographie simpliste et son œuvre flirtant avec le merchandising ne manquent pas de heurter une partie de la sphère de l’art contemporain. « On peut l’aimer ou le détester, mais il ne peut être ignoré », s’en amuse Emily Kaplan, spécialiste chez Christie’s New York. Adulé en Asie, soutenu de longue date par le marchand José Mugrabi, le producteur Stavros Merjos ou le musicien Pharrell Williams, il a aujourd’hui élargi sa base de collectionneurs. « L’artiste entre dans de très belles collections », note Vanessa Clairet. « Lors des ventes de mai, la demande était globale, de la part d'acheteurs qui nous étaient connus, collectionnant le pop art ou l’expressionnisme abstrait, ou d’autres totalement nouveaux, beaucoup d’Américains ou d’Asiatiques », observe de son côté Emily Kaplan. 

Mais le phénomène Kaws pourra-t-il perdurer ? « Je doute qu’on observe une marche arrière », répond Arnaud Oliveux. « Je pense que Kaws sera représenté par les institutions à travers le monde, ce qui, d’une certaine façon, l’inscrit dans l’histoire de l’art », prédit quant à elle Emily Kaplan. L’artiste étant programmé ce printemps à la fondation Hoca de Hong Kong sous la houlette de Germano Celant, théoricien de l’Arte Povera, présenté en ce moment au MOCAD, musée d’art contemporain de Detroit, et prévu en 2021 au Brooklyn Museum, l’avenir pourrait bien être au beau fixe. La récente intégration de Kaws dans l’écurie Skarstedt, aux côtés de Martin Kippenberger ou de Baselitz, ne manquera pas d’ouvrir encore de nouvelles portes. 

KAWS, Final Days, 2014. Cette œuvre sera mis en vente le 19 juillet 2019 par Artcurial à Monaco, à l'occasion de la manifestation "Monaco Sculpture".
KAWS, Final Days, 2014. Cette œuvre sera mis en vente le 19 juillet 2019 par Artcurial à Monaco, à l'occasion de la manifestation "Monaco Sculpture".
© Artcurial.
KAWS, "Small Lie" Companions, figurines en vinyle peint.
KAWS, "Small Lie" Companions, figurines en vinyle peint.
© KAWS.
KAWS, THE KAWS ALBUM, acrylique sur toile, signée, titrée et datée 05 au dos. Vendue 115 966 000 HKD par Sotheby's Hong Kong le 1er avril 2019, cette œuvre détient actuellement le record mondial pour l'artiste.
KAWS, THE KAWS ALBUM, acrylique sur toile, signée, titrée et datée 05 au dos. Vendue 115 966 000 HKD par Sotheby's Hong Kong le 1er avril 2019, cette œuvre détient actuellement le record mondial pour l'artiste.
© Sotheby's.
Visuel de la collection KAWS: SUMMER, collaboration entre KAWS et Uniqlo.
Visuel de la collection KAWS: SUMMER, collaboration entre KAWS et Uniqlo.
© Uniqlo/KAWS.
DIOR X KAWS, Bee Key, porte-clés en laiton et résine.
DIOR X KAWS, Bee Key, porte-clés en laiton et résine.
© DIOR/KAWS.
KAWS, THE WALK HOME, 2012. Vendu par Phillips New York 5 955 000 dollars le 16 juin 2019.
KAWS, THE WALK HOME, 2012. Vendu par Phillips New York 5 955 000 dollars le 16 juin 2019.
@ Phillips New York.
KAWS, FRIEZE SCULPTURE PARK, 2014, exposé pendant la foire FRIEZE - The Sculpture Park à Regent's Park, Londres.
KAWS, FRIEZE SCULPTURE PARK, 2014, exposé pendant la foire FRIEZE - The Sculpture Park à Regent's Park, Londres.
Courtesy Perrotin.
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DR.

Article issu de l'édition N°1744