Un couple d’indigènes à demi nus forme la garde de l’épée. Elle a été forgée en 1893 en l’honneur du général Dodds, héros de l’épopée coloniale française. Fin 2018, le musée de l’Armée l’a préemptée en vente publique pour ses futurs espaces sur l’histoire de la colonisation et de la décolonisation. Un projet officialisé en 2015 par le ministre de la Défense de l’époque, Jean-Yves Le Drian, afin de combler des lacunes dans le parcours actuel se clôturant en 1945. « Comment ne pas regretter que le fait colonial et ses conséquences, si importantes pour la France aujourd'hui, ne soient pas développés ? », s’exclamait-il, réaffirmant la mission pédagogique de ce musée d’histoire sous tutelle de son ministère. L’extension, prévue pour 2025, prend une dimension nouvelle depuis la remise, en novembre dernier, du rapport sur la restitution du patrimoine africain subsaharien par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy au président de la République. Lequel annonça vouloir restituer « sans tarder » au Bénin 26 œuvres conservées au musée du quai Branly - Jacques Chirac, prises justement par Dodds dans le palais de Béhanzin. De ce roi vaincu, on peut voir aux Invalides le bâton de commandement donné par la veuve d’un capitaine. Devra-t-on aussi le rendre ?
Le fait que les officiers soient désignés comme premiers responsables du « pillage » culturel lors de la conquête coloniale au XIXe siècle irrite un peu le général Alexandre d’Andoque de Sériège, directeur du musée : « On ne nie pas que des objets ont été rapportés de ces campagnes militaires, mais ce n’était pas du pillage organisé. Pour certains, cela tenait du souvenir. » Si le rapport rend compte de captations pacifiques avec le consentement plus ou moins éclairé des populations, il évoque surtout les butins arrachés dans un contexte de violence, notant cependant que la pratique était légale avant 1899. Tout en ayant ses détracteurs. Victor Hugo s’insurgea du sac du Palais d’été de Pékin en 1860, espérant le retour des objets volés (tout en en acquérant lui-même). Le musée de l’Armée en détient sept. Pour sa directrice adjointe et conservatrice en chef Ariane James-Sarazin, il est important de rappeler que « la prise de guerre existe depuis la nuit des temps, elle est au cœur de l’histoire militaire ». L’église des Invalides arbore toujours des drapeaux pris à l’ennemi, le plus récent ramené d’Indochine au XXe siècle.
Tout conserver ?
Invité par la mission Sarr-Savoy à faire connaître sa position, le musée a élaboré une note d’une dizaine de pages transmise en septembre 2018. « Plutôt que d’être sur la défensive, explique Ariane James-Sarazin, nous avons opté pour une réponse transparente, avec un regard historique sur nos collections africaines. » S’appuyant sur un premier travail d’identification mené en 2003, le musée estime posséder environ 2 000 pièces d’origine africaine, incluant le Maghreb, pour majorité militaires, entrées entre 1850 et 1930. L’inventaire « parcellaire » distingue des objets explicitement « pris au combat », d’autres provenant de résidents coloniaux, militaires ou non, au mode d’acquisition inconnu. La collection semble peu concernée par les « annexions patrimoniales » décrites dans le rapport, s’intensifiant après la reprise de l’expansion coloniale en 1880. Olivier Kodjalbaye Banguiam, historien spécialiste du sujet, décrit un mouvement initié par les missions d’exploration : « Le ministère de l'Instruction publique incitait les acteurs coloniaux, aussi bien militaires que civils, à rapporter au musée d’Éthnographie du Trocadéro les objets africains récoltés. » Des ensembles de valeur furent dispersés, tel le trésor de Ségou provenant de la capitale de l’empire toucouleur, dont le musée de l’Armée possède le sabre de son fondateur, El Hadj Omar. Une pièce « hautement symbolique » que le rapport propose de restituer en priorité, ici au Sénégal. Signe de bonne volonté, l’objet a été prêté pour un an au musée des Civilisations noires ouvert à Dakar en décembre 2018. Ariane James-Sarazin précise : « Si on nous demande la mise en dépôt de ce sabre, nous sommes prêts. » De là à envisager une restitution…
Dans sa note, le musée de l’Armée plaide pour tout conserver, au nom de l’intelligibilité de sa muséographie : « Il est fondamental pour un musée d’histoire militaire d’exposer des pièces représentant l’ennemi » et plus généralement « de parler de l’autre ». Néanmoins, la conservatrice reconnaît que « le rapport a eu le mérite de créer une forme d’électrochoc ». En janvier 2019, un poste de chercheur de provenance a été créé au sein du musée, un séminaire sur le droit de la guerre se prépare, ainsi qu’une exposition sur les trophées qui évoquera la propre spoliation du musée en 1940 par l’occupant allemand. À la question directe : « Que ferez-vous si le chef d’État ordonne la restitution d’objets de vos collections ?», le général sourit. Il est vrai que son musée a déjà su résister à un président. En 2012, il fut question que François Hollande rende les clefs de la ville d’Alger. Sans succès.